Comment maximiser la valeur d'un cabinet de CGP

Par : Anne Simonet

Trois fois les encours. Cette règle de place bien ancrée dans l’esprit des CGPI doit être nuancée compte tenu de la démographie même des cabinets et d’un cadre réglementaire qui, à moyen terme, devraient conduire à revoir à la baisse la valorisation des cabinets. Les potentiels cédants doivent se préparer au mieux pour maximiser la valeur de leur entreprise.

Ces derniers temps, les rapprochements entre les cabinets de conseil en gestion de patrimoine (CGP) se sont multipliés. Les plus importantes transactions sont officialisées par voie de presse, notamment dans nos colonnes, tandis que d’autres cessions se font en toute discrétion. C’est souvent à l’image de la taille des cabinets en question.

Côté vendeurs, il y a bien évidemment les CGP qui souhaitent prendre leur retraite et parmi eux, ceux qui peinent à accepter la lourdeur administrative qu’implique la réglementation. Rémi Sabatier, président d’Aprédia, en témoigne : « parmi les CGP qui souhaitent vendre, on retrouve la génération des commerciaux qui ne veulent pas se transformer en administratifs du fait du poids de la réglementation. Ils ont le sentiment de ne pas pouvoir exercer leur métier. Cette tendance s’est accentuée ». Certains d’entre eux, ayant la soixantaine, sont à l’écoute des opportunités pour vendre sans pour autant être dans une dynamique de cession.

Plus alarmiste, Grégoire Torralba y Vendrelle, associé fondateur de la société de conseil Alpha Partners, estime que « les cabinets qui ne disposent pas d’une taille critique (surtout ceux inférieurs à 50 millions d’euros d’encours), reposant majoritairement sur les commissions récurrentes en assurance-vie, seront les premières cibles de la consolidation. Ils sont les premiers impactés par les évolutions réglementaires et auront du mal à supporter seuls les charges induites par celles-ci ».

En revanche, côté acheteurs, soit bien souvent la génération en dessous, elle souhaite racheter des portefeuilles. Les jeunes cabinets ont une vision plus stratégique que leurs aînés. Mangé ou être mangé…

Il peut s’agir aussi d’atteindre une taille critique afin d’absorber les coûts générés par la mise en conformité réglementaire qui demande la mise en place de processus et d’outils de reporting, mais aussi d’un levier d’optimisation du récurrent par le pouvoir de négociation qu’il confère auprès des fournisseurs.

Un contexte démographique favorable

Actuellement, la demande reste supérieure à l’offre et la valorisation d’un cabinet demeure la même, à savoir 2,8 fois les encours. « Rien n’a changé dans la valorisation des cabinets de CGP. L’objectif est de trouver une valeur de marché qui convienne tant au vendeur qu’à l’acheteur et celle-ci est globalement la même qu’il y a cinq ans », remarque ainsi Rémi Sabatier.

Néanmoins, Michael Sfez, directeur général de la société de gestion Russell Investments France, estime que « les CGP ne peuvent plus penser qu’ils vendront leur cabinet à hauteur de trois fois le montant des encours. Cette règle est simpliste et ne valait que tant qu’il y avait une rareté de l’offre. Aujourd’hui, ils doivent faire attention à l’aspect démographique au sein même des cabinets. Dans les cinq prochaines années, les départs à la retraite vont se multiplier. Il y aura donc plus d’offres qu’il n’y en a aujourd’hui ».

Grégoire Torralba y Vendrelle partage cette vision : « les valorisations évoluent depuis quelques années, la relative tension sur les acquisitions et cessions de cabinets entre 2012 et 2015 pendant laquelle des portefeuilles étaient parfois vendus cinq à six fois le chiffre d’affaires récurrent semble aujourd’hui révolue. Les acheteurs sont très conscients des défis réglementaires, des évolutions du métier et des pressions sur les marges qui se profilent dans un avenir proche et qui vont forcément impacter les valorisations à la baisse ».

Habiller la mariée

Alors, qui peut le plus peut le moins, autant s’atteler à maximiser la valorisation de son cabinet avant sa cession. Michael Sfez relate que « l’idée est d’avoir une profitabilité de l’ordre de 20 %. Les plus efficaces ont des ratios de profitabilité de 40 %. Cela nécessite de vrais process ».

Il est judicieux de se faire accompagner d’un conseil qui connaît particulièrement bien ce milieu professionnel, d’autant plus que cela nécessite d’ôter sa casquette de conseiller pour celle de chef d’entreprise. Or, s’agissant plus précisément de la génération qui sera prochainement amenée à prendre sa retraite et sans faire de généralité, « le CGP est un commerçant avant d’être un chef d’entreprise et cela est d’autant plus vrai s’il est bon commerçant », remarque Jean-Luc Deshors, président d’Alma Holding.

Michael Sfez confirme aussi que « le CGP doit voir au-delà de sa personne ; c’est une entreprise cessible. Un professionnel qui souhaite vendre doit prendre au moins deux ans pour optimiser cette vente en habillant la mariée. Une succession en interne se fait sur sept ans minimum, car c’est un métier intimiste ».

C’est en quelque sorte un prérequis à toute cession, la bonne gestion de son cabinet. « Un CGP qui n’a pas un bon pilotage de son cabinet, que ce soit en termes de segmentation de la clientèle ou de conformité le vendra deux fois moins cher, explique Jean-Luc Deshors, on doit pouvoir savoir si les clients sont suivis une fois ou deux fois par an, s’ils ont plus de 100 000 euros, s’ils vendent une entreprise, un fonds de commerce ou des biens immobiliers… » Le cabinet doit finalement pouvoir passer les fourches caudines des régulateurs. La gestion du personnel, les locaux, les relations avec la clientèle, ainsi que les outils rentrent en ligne de compte.

Russel Investments a développé depuis plus de vingt ans un programme de practice management pour les conseillers en gestion de patrimoine dans le monde afin qu’ils soient plus efficients dans la gestion de leur cabinet et que ces derniers prennent de la valeur. Celle-ci reprend huit mesures critiques pour maximiser et évaluer un cabinet de CGP.Ainsi donc, si la méthode de valorisation d’un cabinet n’a pas changé, des corrections à la hausse ou à la baisse sont à effectuer au regard de l’activité et de la rentabilité du cabinet. Rémi Sabatier souligne qu’« il est important de faire attention à ne pas prendre en compte des facteurs dont les variables ne sont pas indépendantes les unes des autres car elles conduisent à fausser l’évaluation à la hausse ou à la baisse ».

Il existe des coefficients pour les différentes composantes du chiffre d’affaires : 3 fois pour l’assurance vie et 2,5 fois pour le bancaire. Comme l’explique Grégoire Torralba y Vendrelle, « la méthode de valorisation reste assez classique, en multiple de chiffre d’affaires. On décompose ce dernier entre le récurrent et le non-récurrent (tels que des droits d’entrée, des honoraires ou rémunération one-shot). Le chiffre d’affaires récurrent est, en général, valorisé entre deux et quatre fois selon la qualité du portefeuille. Le non-récurrent, quant à lui, dans la mesure où il ne génère qu’une commission ponctuelle, n’est valorisé (entre 0,5-1 fois le chiffre d’affaires) que s’il est issu d’une réelle expertise, d’un positionnement métier assumé de l’entreprise et d’un réel savoir-faire (une mauvaise gestion ou opération passée pourrait impacter négativement la notoriété du cabinet) ». Rémi Sabatier précise notamment qu’« il faut être prudent avec les droits d’entrée qui dépendent de la pratique de chaque CGP. Par ailleurs, leur valorisation doit être déterminée avec discernement. Le repreneur n’en pratiquera pas forcément, par exemple ». De surcroît, l’évolution de la réglementation des produits financiers comme de la fiscalité ne semble pas, pour le moment, avoir de conséquences notables sur ces coefficients, alors même que la pérennité des usages du courtage est remise en cause à l’aune de la transposition de la directive relative à la distribution de l’assurance (DDA) et la transférabilité de l’assurance-vie est régulièrement défendue. D’ailleurs, Jean-Luc Deshors estime comme d’autres intervenants, que « la DDA ne devrait pas impacter la valorisation des cabinets d’ici à cinq ans ».

A tout le moins, l’instauration de la Flat Tax devrait redonner des couleurs aux comptes-titres, même si aujourd’hui les CGP réalisent toujours une grande partie de leur chiffre d’affaires avec l’assurance-vie. La transférabilité ou non des produits doit dans tous les cas être prise en compte. A ce titre, il observe que « pour les comptes-titres, je préconise un paiement en deux fois. La moitié à la vente du cabinet et le solde au bout de douze mois si le client est toujours là. En effet, le compte-titres est transférable du jour au lendemain ». Il faut également tenir compte du fait qu’en immobilier, certains montages prévoient des crédits in fine, avec un nantissement d’un contrat d’assurance-vie, ce qui doit conduire à relativiser l’actif du client.

Quant aux honoraires, ils représentent dans la majorité des cas, toujours une part infime du chiffre d’affaires. « Ils sont de plus en plus difficiles à facturer, si ce n’est au travers de formules d’abonnement mensuel, car les clients sont de plus en plus informés, surtout la jeune clientèle », souligne Grégoire Torralba y Vendrelle. « Il est encore trop tôt pour savoir l’impact des honoraires sur la valeur d’un cabinet. Ils ne sont pas pris en compte pour l’heure car le client paie pour la personne du CGP », observe, pour sa part, Jean-Luc Deshors.

Portefeuille clients

La valorisation d’un cabinet qui a les mêmes encours ne sera donc pas la même en fonction de la nature des actifs gérés mais aussi du nombre de foyers clients et de leurs profils. « Mieux vaut avoir un cabinet avec un niveau d’actifs moyen de l’ordre de 1 million d’euros plutôt qu’un cabinet avec des clients ayant 125 000 euros d’avoirs financiers en moyenne. Ces derniers se valorisent moins bien aujourd’hui compte tenu de la réglementation qui impose un suivi annuel du portefeuille clients », remarque Michael Sfez.

Toutefois, tous les CGP n’ont pas ce niveau d’actifs. De son côté, Rémi Sabatier explique qu’« une correction de 10 %, voire plus, du portefeuille, peut avoir lieu en fonction du profil de la clientèle. Mieux vaut avoir une clientèle diffuse que concentrée car le risque n’est pas le même. Il est nécessaire de rapporter les encours au nombre de clients. Si les dix premiers clients représentent 40 % du chiffre d’affaires, le portefeuille sera décoté ».

« Pour gagner en valorisation, il faut notamment avoir une bonne segmentation de la clientèle, à savoir qu’il n’est pas possible d’appliquer le même service à tout le monde. A défaut, les plus gros clients subventionnent les plus petits. Le CGP doit mettre en place des processus, afin de documenter un maximum ce qui est fait pour maximiser la capacité de transmission », poursuit Michael Sfez.

Il est indéniable que la réglementation, qui impose au CGP de suivre au moins une fois par an sa clientèle, l’amène à segmenter cette dernière, dès lors qu’il atteint une certaine taille. L’âge du client, sa profession, sa localisation, ses actifs, son potentiel d’investissement sont autant de critères à prendre en compte.

« Concrètement concernant la valorisation en elle-même, à encours équivalent, un portefeuille composé d’encours récurrent (type assurance-vie) avec une clientèle régionale, à fort pouvoir d’achat, CSP+ dont la moyenne d’âge est de 45 ans, sera bien plus recherché et onéreux qu’un portefeuille centré sur une activité immobilière, avec un grand nombre de clients, géographiquement éparses et dont la moyenne d’âge est de 75 ans », explique Grégoire Torralba y Vendrelle. Il ajoute que « tous les acteurs ne valoriseront pas de la même manière un même portefeuille. En effet, l’un des enjeux majeurs repose sur l’intégration de ce portefeuille au sein de la structure du repreneur. Celle-ci sera plus ou moins onéreuse, en fonction de la typologie de la clientèle. Par exemple, certains cabinets, spécialisés dans l’accompagnement sur mesure d’une clientèle chefs d’entreprises, ne voudront pas d’un cabinet dont la clientèle serait trop importante et composée de milliers de particuliers, quand bien même il serait bien organisé ».

Par ailleurs, Jean-Luc Deshors explique qu’« un client vaut entre un et six fois ses encours annuels. Le CGP doit avoir en tête qu’aujourd’hui un client a un coût. Il doit se poser la question de savoir si ses clients sont rentables ». En effet, un client qui a 50 000 euros peut coûter administrativement aussi cher que celui qui a 500 000 euros. Certains arbitrages peuvent donc être nécessaires avant la vente. Le CGPI doit notamment se poser la question s’agissant des clients qui sont géographiquement éloignés de son cabinet et ce même s’il existe un lien familial avec un autre client. Enfin, « un CGP seul doit gérer moins de cent clients. Au-delà, il doit réfléchir à en vendre dix tous les ans afin de développer une nouvelle clientèle s’il veut augmenter son chiffre d’affaires », conseille-t-il.

Passation de pouvoir

Une fois que le prix du cabinet est déterminé, il ne reste plus qu’à trouver un acquéreur et surtout le bon. Il peut être judicieux, là aussi, de confier cette mission à un tiers afin que ce dernier se charge de vérifier le sérieux des dossiers des repreneurs, dont leurs capacités financières, permettant par la même occasion de mettre de côté l’affect.

« Il faut savoir s’il y aura une passation de pouvoirs. Lorsque le vendeur et le repreneur conviennent que le premier accompagnera le second un temps, il est important d’en définir la durée et de déterminer si cela est compris dans le prix de vente ou si le vendeur va être rémunéré. Par ailleurs, le prix de vente doit-il être revalorisé en conséquence ? Je recommande pour ma part, lorsqu’il y a par exemple un nouveau contrat d’assurance vie, que la quasi-totalité des droits d’entrée revienne au vendeur », explique Jean-Luc Deshors.

  • Mise à jour le : 29/10/2018

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