Elles de Thema : la force d’un réseau de femmes CGP

Par : Elisa Nolet

Parce que les femmes n’osent pas prendre la parole dans les réseaux mixtes, Elles de Thema est un club pensé pour permettre aux femmes CGP d’échanger entre elles et leur inculquer la culture du réseau. Rencontre avec sa présidente, Corinne Calendini, directrice Wealth Management et banque patrimoniale chez Axa.

Profession CGP : Comment et pourquoi sont nées les Elles de Thema ?

Corinne Calendini : Le club est né d’une discussion avec deux responsables commerciales d’Axa, Marie Roussel et Sabine Féral, toutes deux frappées de constater que les femmes CGP restaient plus discrètes dans nos réunions. Les hommes participaient nombreux aux animations d’Axa Thema, aux côtés d’une ou deux femmes qui préféraient ne pas intervenir. Il faut reconnaître que c’est compliqué ! Une femme est en exposition très forte lorsqu’elle s’exprime seule face à une assemblée d’hommes. Et ces derniers monopolisent souvent la parole. Connaissant ma sensibilité à ces questions, Sabine et Marie m’ont suggéré de développer des actions spécifiques pour ces femmes que nous avions vraiment envie de voir.Nous avons imaginé tout un programme, résolument pensé pour elles, et baptisé les Elles de Thema pour jouer sur l’homophonie avec le mot « ailes » et la symbolique à laquelle il renvoie. Notre volonté : permettre aux femmes CGP d’échanger entre elles tout au long de l’année. Le club n’est pas réservé aux partenaires d’Axa, il est ouvert à toutes : entrepreneures, associées, salariées d’un cabinet. Plus d’une centaine de femmes nous ont rejoints dès la première année, en 2019. Et pour la première fois, nous avons entendu leurs voix.

 

Les femmes avaient donc besoin d’un club dédié ?

La force des hommes a toujours été de cultiver leurs réseaux. Or les femmes manquent de temps pour se consacrer à cette activité qui ne leur est pas naturelle. Pourtant le réseau est une vraie force et un vecteur de succès. Notre rôle est de leur apprendre à en accepter l’importance. Nous faisons beaucoup de relances en amont de nos réunions qui ont lieu cinq fois par an. Nous encourageons nos adhérentes à sanctuariser ce moment en leur rappelant que prendre soin de soi dans ce cadre n’est pas une perte de temps, mais au contraire une réelle opportunité de prendre de l’élan et de casser le plafond de verre auquel elles se heurtent bien souvent. Nous prenons aussi en considération leurs réalités. Sachant qu’elles sont très occupées en soirée, nous organisons toujours nos rencontres en journée. Elles peuvent ainsi arbitrer sur leurs horaires de travail, et non sur leur temps personnel. Nous leur transmettons également le calendrier de nos opérations en début d’année, afin qu’elles puissent s’organiser. Nous sommes vraiment dans une co-construction du programme. Alors fallait-il un club réservé aux femmes ? Certains nous l’ont reproché et nous pourrions en disserter des heures… L’idée n’est pas d’opposer les entrepreneurs hommes et femmes, ni d’expliquer qu’ils sont différents. Nous avons simplement pris conscience que, dans les clubs ouverts à tous, les femmes n’étaient pas visibles et ne prenaient pas la parole. Il fallait donc créer pour elles un lieu d’échange spécifique, leur donner suffisamment confiance pour qu’elles osent ensuite se faire entendre en territoire mixte. Notre volonté reste de travailler dans l’inclusion.

 

Quelles animations leur proposez-vous ?

Nous avons travaillé autour de trois axes. Premièrement, leur permettre de grandir en expertise, avec des focus sur des sujets qui les intéressent particulièrement : en droit civil, la famille ; en finance, le concret… Deuxièmement, le développement de soi. Un sujet capital qui nous tenait à cœur. Car ces femmes CGP, qu’elles soient indépendantes, associées ou salariées, s’occupent merveilleusement de leurs clients, mais s’oublient elles-mêmes et ne prennent généralement pas le temps de ce travail d’introspection. Les femmes entrepreneures sont d’autant plus pénalisées sur ce point qu’à l’inverse, les grandes entreprises attachent beaucoup d’importance à ces questions. Nous leur avons ainsi proposé des ateliers de coaching sur le marketing de soi, la prise de décision, le leadership résilient, ou encore la charge mentale… Cette année, nous prévoyons par exemple un atelier intitulé : « apprendre à provoquer sa chance ». Troisièmement, nous travaillons le networking, afin qu’elles puissent échanger entre elles sur des problématiques concrètes et des sujets qui leur sont propres. Les ateliers se déroulent sur une demi-journée – intense ! – lors desquelles les participantes travaillent à quatre ou cinq sur un thème qu’elles viennent restituer devant les autres. Ils sont l’occasion de nombreux échanges, c’est extrêmement riche !

 

Comment les femmes ont-elles accueilli les Elles de Thema ?

Au départ, les femmes sont venues timidement, mais aujourd’hui, elles viennent clairement chercher ces trois dimensions que nous leur proposons. C’est une évolution intéressante à observer. Elles apprécient cet espace qui met en valeur toutes les composantes de leur métier. Les Elles de Thema réunissent des femmes CGP de toutes les générations. C’est d’ailleurs assez attendrissant à observer. Car les plus jeunes ne sont pas exemptées des difficultés d’être une femme dans le monde du travail. Si l’évolution de la société laisse supposer que la question du genre n’existe plus dans les jeunes générations, les schémas ancestraux réapparaissent en réalité dès qu’elles intègrent l’entreprise. Les femmes transportent avec elles des millénaires d’histoire et de rapports aux hommes codifiés qui ne se cassent pas en trois générations. Mais elles progressent doucement et s’enrichissent de ce mouvement qu’elles mettent en œuvre.

Toutefois, les femmes n’adhèrent pas encore suffisamment aux réseaux. Nous sommes une centaine, mais nous pourrions être cinq fois plus ! La profession compte environ 10 % de femmes. Les « Elles de Thema » devraient pouvoir doubler, et c’est ce que nous espérons. Aujourd’hui, le bouche-à-oreille et les réseaux nous font connaître. Nous réalisons également des campagnes d’e-mailings, adressés à toutes les femmes du marché. Nos membres sont celles qui parlent le mieux de notre club ; nous avons de super ambassadrices !

 

Qu’apportent les femmes au métier de CGP ?

Les femmes constituent la moitié de la population française. Elles représentent donc potentiellement 50 % de la clientèle d’un cabinet et il importe de refléter cette réalité. Les femmes disposent d’importants atouts dans ce métier : elles ont de l’empathie, un leadership intuitif, une vraie spontanéité… Mais je n’aime pas les stéréotypes et je ne veux pas les ramener à leur féminité. Je préfère dire, comme en Chine, qu’elles ont plus de yin que de yang… Sensibles, elles viennent équilibrer le monde un peu froid, rationnel, de la gestion de patrimoine et peuvent lui apporter du sens, de la valeur. Elles sont aussi très complémentaires à leurs confrères masculins. Dans l’approche patrimoniale, elles ont une propension à privilégier les sujets très concrets, en particulier la famille et la protection. Bien sûr, les femmes CGP ne s’adressent pas qu’aux femmes. En banque, dans les consultations patrimoniales, l’interlocuteur reste dans 75 % des cas un homme. C’est lui qui prend la parole pour discuter de l’argent de la famille. Et lorsqu’un conseiller parle avec une femme, c’est généralement parce qu’elle est veuve ou divorcée. L’argent reste donc très genré. Mais face à une femme CGP, Madame prendra plus facilement la parole. Il est important de se souvenir que le conseil en gestion de patrimoine est un métier basé sur l’humain. Or on ne peut pas « matcher » avec tout le monde. Certains clients seront plus à l’aise avec tel conseiller homme, d’autres avec telle conseillère femme… La mixité, et même au-delà, la diversité, sont indispensables au sein des cabinets, il faut que cette idée progresse. Celui qui ne s’entoure que de collaborateurs lui ressemblant ne peut répondre ni à tous les besoins, ni à tous les clients. L’inclusion et la diversité sont des vecteurs de performance et de satisfaction client. Des changements sont en cours, mais restent insuffisants. Un travail de longue haleine est nécessaire pour faire évoluer les mentalités.

 

Est-il plus compliqué pour une femme de se lancer en tant que CGP ?

Que l’on soit homme ou femme, la difficulté de devenir entrepreneur est la même aujourd’hui. Tous deux doivent engager un gros travail de relation au risque et se heurtent aux mêmes barrières objectives. Les femmes rencontrent des obstacles supplémentaires, à commencer par l’obligation d’assumer d’autres responsabilités familiales. Elles se mettent aussi leurs propres barrières ! Elles sont en particulier victimes du « syndrome de la bonne élève » qui leur impose d’être plus performantes et de tout maîtriser : là où un homme se sentira compétent alors qu’il n’est prêt qu’à 50 %, une femme ne s’estimera pas légitime même si elle est prête à 100 % ! Mais quand une femme est coachée et travaille sur ses forces, elle s’aperçoit qu’elle a autant d’atouts qu’un homme pour créer son entreprise, en particulier dans le métier du conseil patrimonial. Les femmes CGP ont dépassé ces barrières et endossent leur dimension d’entrepreneures. La plupart imaginent d’ailleurs une façon de gérer leur cabinet qui leur ressemble. De manière générale, les femmes affirment souvent ne pas vouloir être traitées différemment des hommes ; pourtant, moi, j’ai envie d’assumer ma différence ! Il faut que les femmes puissent se dire : « je ne veux pas ressembler à un modèle existant ». Les entrepreneures CGP s’organisent différemment et leurs clients le savent. Elles peuvent par exemple s’arrêter à 18 heures, mais démarrer à 7 heures le matin. Ce qui compte pour elles, c’est de bien faire leur métier, d’apporter de la valeur en offrant le meilleur conseil à leurs clients.

 

Les mouvements à l’œuvre dans le métier complexifient-ils la tâche des femmes qui veulent se lancer ?

Les évolutions actuellement à l’œuvre dans la profession, qui voient les cabinets se regrouper pour dépasser la taille critique, constituent plutôt une opportunité pour les femmes : elles peuvent en effet nouer des associations au sein desquelles elles trouveront leur équilibre. Les lignes bougent très rapidement : on trouve désormais des femmes qui osent. La perception du métier évolue. Le conseil en gestion de patrimoine est vu comme un métier de services, dans lequel les femmes s’imposent, de plus en plus nombreuses, de la même façon qu’elles sont surreprésentées dans les autres services. Le vrai sujet reste d’oser. Nous devons montrer aux femmes qu’avoir de l‘ambition ne signifie pas renoncer à son équilibre et à sa vie de famille. Nous devons incarner un nouveau type de leadership afin de donner envie à d’autres femmes de nous rejoindre.

  • Mise à jour le : 22/06/2021

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