« Nos clients risquaient d’être soumis à un taux d’imposition d’environ 65 % »
Entretien avec Maître Nicolas Canetti, avocat associé au sein du cabinet Bornhauser, qui a porté devant le Conseil d’Etat le recours de contribuables ayant donné lieu à l’annulation de l’instruction administrative qui prévoyait la taxation systématique des gains de cession de cryptomonnaies comme des revenus d’activité.
Profession CGP : Quel est le profil des contribuables qui étaient à l’origine de ce recours ?
Nicolas Canetti : Il s’agit d’adeptes très précoces des cryptomonnaies, qui en ont acheté dès les années 2012-2013 pour un prix extrêmement faible. Ça n’était, d’ailleurs, pas spécialement dans une perspective spéculative, mais plus généralement parce que cette technologie attisait leur curiosité. La flambée des cours intervenue en 2017 a fait le reste et les a placés à la tête d’un « portefeuille » ayant subitement pris une valeur astronomique. Ils ont alors découvert les joies de la fiscalité française en réalisant que s’ils vendaient effectivement leurs devises pour encaisser ce gain, ils risquaient d’être soumis à un taux d’imposition d’environ 65 % dans le meilleur des cas.
Pourquoi est-ce à vous qu’ils se sont adressés ?
N. C. : Ça n’était, à vrai dire, pas évident, car ni moi ni mes associés du cabinet Bornhauser n’avons jamais particulièrement positionné notre offre d’assistance fiscale sur le secteur des nouvelles technologies. Nous avons toutefois une forte réputation dans le contentieux « préventif » consistant à faire invalider les règles fiscales abusives. Par exemple, nous avions fait annuler l’année précédente les modalités de déduction des pertes sur ventes de titres. Cette année, nous allons nous attaquer à la hausse rétroactive de la CSG qui n’aurait pas dû s’appliquer aux revenus de l’année 2017.
Qu’avez-vous proposé à ces clients détenteurs de cryptomonnaies ?
N. C. : De faire reconnaître l’illégalité, et donc d’obtenir l’annulation des commentaires officiels publiés en 2014 par l’administration fiscale sur l’imposition des plus-values sur cryptomonnaies. Ces commentaires prévoyaient une taxation des gains « occasionnels » selon le régime d’imposition dit des bénéfices non commerciaux (BNC) et une taxation des gains « habituels » selon le régime d’imposition dit des bénéfices industriels et commerciaux (BIC). Il y a quelques différences entre les deux catégories, mais le résultat est à peu près le même : le gain est taxé comme un revenu d’activité, et s’il est très élevé, il va être soumis au taux marginal de l’impôt sur le revenu (45 % hors CSG).
En quoi ces commentaires étaient-ils illégaux ?
N. C. : Le problème est que l’instruction administrative ne prévoyait pas du tout que puisse s’appliquer un régime d’imposition spécifique prévu par la loi en matière de cessions de « biens meubles » par les particuliers. Ces plus-values, pour autant qu’elles ne constituent pas une activité à part entière, sont soumises à un taux d’imposition forfaitaire beaucoup plus avantageux (19 % hors CSG) que les revenus d’activité BNC/BIC. Or, même si ce régime est évidemment bien antérieur aux cryptomonnaies, dont on aurait été bien en peine de prédire l’existence, celles-ci doivent bien être considérées comme des « biens meubles » au regard de la distinction fondamentale du Code civil qui prévoit qu’un bien est soit meuble, soit immeuble.
Avez-vous entièrement obtenu satisfaction auprès du Conseil d’Etat ?
N. C. : Non pas entièrement. Les commentaires administratifs ont bien été annulés, mais seuls les gains « occasionnels » peuvent désormais bénéficier du régime des plus-values sur biens meubles. En revanche, le Conseil d’Etat a validé la taxation en BIC des gains « habituels ». Cela convient parfaitement à mes clients qui sont des détenteurs passifs et ne doutent donc pas de leur éligibilité au régime des plus-values privées. Mais cela peut rendre plus délicat le positionnement des « traders » ayant multiplié les opérations d’achat, de vente et d’échange.
Il n’y a par contre plus aucune taxation en BNC ?
N. C. : Si, mais seulement pour les gains issus du « minage », qui demande aujourd’hui des ressources informatiques et électriques qui ne sont de toute façon plus accessibles aux particuliers. Cela peut toutefois encore s’appliquer aux cryptomonnaies acquises de plus longue date à une époque le minage était plus facile.
Le maintien de la taxation en BIC des gains habituels vous parait-il justifié ?
N. C. : Il n’est pas absurde que les gains des personnes qui déploient une véritable activité dans l’échange de cryptomonnaies soient taxés comme tels. Mais le critère « d’habitude » n’est pas suffisamment restrictif, et il est même discriminatoire. Les amateurs qui réalisent des opérations de Bourse en ligne sont taxables selon le régime des plus-values privées et sont protégés d’une requalification en revenu d’activité à partir du moment où ils n’opèrent pas dans des « conditions analogues » à un « professionnel ». Mais c’est uniquement parce qu’un texte de loi spécial leur octroie cette protection. Il n’existe malheureusement pas encore de protection équivalente pour les traders de cryptomonnaies, qui deviennent taxables en revenu d’activité dès lors que leurs opérations sont menées « à titre habituel », ce qui est beaucoup plus dangereux.
Concrètement, comment distinguer les gains « occasionnels » et les gains « habituels » ?
N. C. : C’est bien tout le problème ! Si le législateur n’intervient pas, il y aura des contentieux et c’est la jurisprudence qui clarifiera les lignes. Elle le fera sur la base de critères tenant au nombre de transactions, à leur fréquence, au montant des sommes investies, etc. Les vendeurs de cryptomonnaies qui ne sortent pas d’une situation de détention purement passive doivent donc mesurer leur risque. En fonction des profils, certains contribuables prendront le risque de déclarer leurs gains en plus-values sur biens meubles, quitte à provisionner une somme correspondant au coût fiscal d’une éventuelle requalification en BIC et à se tenir prêt à se défendre au contentieux. Les profils plus prudentiels accepteront le principe d’une taxation en BIC mais voudront aménager celle-ci au mieux pour limiter au maximum leur imposition.
Que peut-on attendre des prochaines lois de finances sur la fiscalité des cryptomonnaies ?
N. C. : Tout est encore à faire, mais le plus urgent serait d’instituer un régime de sursis prévoyant explicitement que les échanges d’une cryptomonnaie à l’autre ne sont pas taxables. Ces opérations ne dégagent aucune liquidité pour le contribuable et matérialisent, au mieux, un gain d’échange qu’il serait absurde de taxer, alors qu’il reste volatil tant qu’il n’est pas converti en monnaie fiduciaire classique. Il est, par ailleurs, très probable que de nouvelles obligations déclaratives entrent en vigueur pour obliger les contribuables à déclarer annuellement leur détention de cryptomonnaies.
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