Finance et changement climatique : un nouvel espoir

Par : edicom

Par Daniel Haguet, PhD, professeur de finance, EDHEC Business School ([email protected])

Le rôle de l’investissement financier dans une croissance durable de l’économie devient de plus en plus visible avec une prise en compte des investisseurs des critères ESG et ISR. Les professionnels du conseil financier ont un rôle primordial à jouer.

En juillet 2019, le président de la République réunissait les plus grands fonds d’investissement internationaux (Amundi AM, BNP Paribas AM, Natixis IM, BlackRock, Goldman Sachs AM, HSBC Global Asset Management, Northern Trust AM et State Street Global Advisors). Cette réunion faisait suite à celle de l’année précédente regroupant six des fonds souverains mondiaux (Norvège, Nouvelle-Zélande, Qatar, Arabie saoudite, Koweït, Emirats arabes unis). L’objectif de ces rencontres : mobiliser l’épargne longue pour lutter contre le changement climatique. Pourtant, dix ans auparavant, les responsables politiques n’avaient pas de mots assez durs pour qualifier l’industrie financière accusée d’avoir été à l’origine de la crise de 2009 et provoquant la multiplication des règlements et régulations, souvent avec une vocation punitive.

Cependant, le rôle positif de l’investissement financier dans une croissance durable de l’économie a été largement souligné par de nombreuses parties prenantes : entreprises, responsables politiques et territoriaux, institutions financières…

De même, nous assistons à une prise en compte par les investisseurs des nécessités ESG (prise en compte des critères écologiques, sociaux et gouvernance) parmi lesquels la lutte contre le réchauffement climatique est une priorité. Pour les professionnels du conseil financier, ces orientations sont importantes car elles vont conditionner à la fois les exigences de la clientèle et les préconisations qui en découlent.

Au commencement était l’ISR

Nous pouvons tracer l’origine du courant aujourd’hui baptisé ISR aux premières communautés évangélistes anglo-saxonnes qui, confrontées à la nécessité d’investir leurs ressources financières, ont souhaité que ces placements soient en conformité avec leurs valeurs religieuses. Elles ont ainsi refusé de financer des entreprises liées aux secteurs des armes, des jeux, de l’alcool ou de la pornographie. C’est le fondement de l’investissement baptisé « éthique ».

Les années 1970 amènent un tournant décisif avec la prise en compte de problématiques politiques et sociétales, telles que la guerre au Vietnam, l’apartheid en Afrique du Sud ou le mouvement des droits civiques aux Etats-Unis. L’on a, par exemple, assisté en 1980 à la création d’un indice boursier rassemblant les titres d’entreprises n’ayant pas investi en Afrique du Sud.

Certains chercheurs en gestion développent et parviennent à imposer l’idée d’une « responsabilité sociale de l’entreprise » dans l’environnement politique, c’est le début des mouvements de boycott, tel que celui des Etats-Unis lors des jeux Olympiques de Moscou à la suite de l’invasion de l’Afghanistan.

De l’environnement politique à l’environnement tout court, il n’y aura qu’un pas et l’étape ultérieure est franchie avec la prise en compte des contraintes écologiques telles que la pollution et le gaspillage. Le boycott des produits de certaines entreprises devient fréquent à la suite de la connaissance de leurs pratiques en matière de pollution ou de droit du travail

Pour certains, l’entreprise ne doit plus se concentrer uniquement sur les intérêts des actionnaires, mais sur l’ensemble des parties prenantes : actionnaires évidemment, mais aussi salariés, fournisseurs, clients et environnement. La prise en compte de ce nœud de relations s’exprime ainsi dans les critères dits ESG qui fondent la notation extra-financière. L’entreprise devra donc justifier de :

- sa politique « sociale » au sens large qui intègre la satisfaction des collaborateurs, les conditions de travail au sein de l’entreprise, l’existence d’éventuelles discriminations ;

- la qualité de ses relations avec les clients et fournisseurs (vitesse de règlement, délai de traitement des dossiers…) ;

- sa politique « environnementale » au sein de laquelle nous allons trouver le niveau de pollution de l’entreprise, son empreinte carbone, son éventuelle implication dans des actions en faveur du recyclage des déchets ;

- et sa politique en matière de gouvernance qui comprend la structure de son conseil d’administration, sa transparence.

A partir de ces analyses, les entreprises font l’objet d’une notation qui serait constitutive des constituants de leur dimension vertueuse. Pour certains chercheurs, plus les entreprises seraient vertueuses, plus leur performance financière serait élevée. L’ensemble de ces critères constitue la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) qui est la traduction dans le monde économique de courants idéologiques glorifiant la diversité et l’égalité. La principale difficulté réside dans l’inexistence d’une définition largement acceptée du contenu et du mode de notation de ces critères.

Parmi les critères ESG, le critère E qui concerne l’environnement prend désormais une importance croissante, compte tenu du débat sur les effets du réchauffement climatique.

La prise en compte du changement climatique

Les conférences internationales sur le climat remontent aux années 1970 avec la conférence de Stockholm en juin 1972 organisée par les Nations unies, qui a publié un certain nombre de déclarations de principe mettant en avant les préoccupations écologiques, telles que l’épuisement des ressources naturelles de la planète. D’autres conférences se sont succédé jusqu’à l’emblématique COP 21 à Paris, en novembre et décembre 2015. Les débats scientifiques sont acharnés et peuvent globalement se séparer en deux écoles : la première considérant que le réchauffement climatique est un phénomène durable lié à l’activité humaine, la seconde considérant qu’il ne s’agit que d’un phénomène naturel cyclique.

En revanche, certains constats sont indéniables. Sur l’évolution de la température mondiale sur longue période, le réchauffement est très net et l’accélération depuis les années 1980 est clairement visible. La décennie 2001-2010 a été plus chaude de 0,21 °C que la décennie 1991-2000 et se situe 0,79 °C au-dessus de la moyenne 1850-1900. Les cinq dernières années (2014 à 2018) constituent les cinq années les plus chaudes jamais enregistrées.

Selon de nombreux travaux, le réchauffement climatique serait lié à la concentration des gaz à effets de serre (GES) provenant de l’activité industrielle humaine. Ces gaz sont la vapeur d’eau, le gaz carbonique issu de la combustion, le méthane provenant de l’élevage ou des exploitations pétrolières, les halocarbures diffusés par les systèmes de climatisation ou le protoxyde d’azote provenant de certains engrais. Globalement, la concentration du CO2 dans l’atmosphère depuis le développement de l’ère industrielle serait la cause de l’augmentation de l’effet de serre, lui-même générant le réchauffement climatique. L’empreinte carbone, voilà désormais l’ennemi.

La finance à la rescousse

Sur le plan académique, depuis plusieurs années, les travaux de recherche en finance intègrent la prise en compte des risques climatiques. Ainsi, il s’avère que, après les accords de Paris de 2015, les entreprises soumises à un risque climat important ont vu leur endettement diminuer, cet effet étant partagé entre une moindre demande de crédit et une diminution de l’offre de crédit de la part des institutions financières (Ginglinger & Moreau, 2019). De même, les risques météorologiques élevés (inondations, ouragans, etc.) sont intégrés dans l’évaluation des titres (actions, options) des entreprises exposées (Kruttli et al. 2019). Enfin, les entreprises qui améliorent leur politique environnementale peuvent diminuer le coût et la structure de leurs financements et améliorer leur valorisation par le marché (Sharfman & Fernando, 2008). L’ensemble de ces résultats montre que la question climatique au sens large et son impact sur les problématiques financières sont largement étudiés.

Pour ces raisons, les investisseurs institutionnels (compagnies d’assurance, fonds de pension, sociétés de gestion, banques, etc.) ont rapidement intégré le risque climatique comme facteur de performance dans leurs portefeuilles. Un travail académique de Krueger et al. (2019), à la suite d’une enquête administrée sur un échantillon de 439 répondants montre toute l’importance accordée par les investisseurs institutionnels à la gestion du risque climatique des entreprises en portefeuille.

Il existe deux classes d’actifs qui permettent la prise en compte du risque climatique en matière d’investissement : les actions et le marché des obligations « vertes ».

En matière d’actions, les promoteurs d’indices ne s’y sont pas trompés, puisque les variantes « empreinte carbone » des indices traditionnels se multiplient, tels que l’indice MSCI ACWI Low Carbon qui est une dérivée de l’indice diversifié international ACWI de MSCI. Cet indice peut évidemment être investi par la clientèle sous la forme classique d’un d’ETF avec des frais très limités.

Une étude d’Invesco effectuée en mai-juillet 2020 indique que les investisseurs institutionnels européens pensent à 55 % que la majorité de leurs investissements ESG se feront par le biais d’outils passifs, tels que les ETFs. Dans les faits, toujours selon Invesco, les encours sous gestion des ETFs intégrant des critères ESG seraient passés de 4 milliards de dollars en juin 2015 à 48 milliards de dollars en juin 2020 avec une collecte nette de 11,5 milliards de dollars pour le premier semestre 2020. Le développement des ETFs ESG est une tendance lourde à laquelle les particuliers ne participent pas encore, faute d’un conseil adapté.

Une autre possibilité d’investir sur le marché de la finance durable se trouve dans les obligations vertes dont le marché est en plein développement, le premier de ces outils provenant de la Banque européenne d’investissement (BEI) en juillet 2007.

Les obligations vertes sont des instruments financiers de dette émis par des institutions ou des entreprises afin de financer des projets liés à la transition écologique. La particularité est que l’émetteur s’engage formellement sur l’usage précis des fonds empruntés et à publier tous les ans aux investisseurs un rapport décrivant la vie du projet. Parmi les émetteurs, nous pouvons trouver Engie, Edf, Icade, Sncf Réseau ou encore l’Etat français. Selon certains travaux, la prime de risque de ces titres obligataires serait supérieure de plus de soixante-trois points de base à une émission classique d’un même émetteur.

La loi Pacte a incité les promoteurs au lancement, en octobre dernier, de véhicules fiscaux d’investissement à long terme, les PERin parfaitement adaptés à une opération d’épargne sur longue période. Ces nouveaux véhicules d’épargne longue sont les supports parfaits pour des supports financiers orientés autour de la lutte contre le changement climatique.

Conclusion

La prise en compte du changement climatique et de ses conséquences est l’un des grands défis de l’humanité à ce jour. L’industrie financière apporte sa contribution de manière significative en intégrant le risque climatique dans la gestion financière des investissements par le développement d’indices spécialisés, d’ETFs à faible coût et de modes de financement originaux, tels que les obligations vertes.

Selon le dernier baromètre de l’AMF, 38 % des Français sont d’accord avec l’affirmation « investir en actions permet de faire des placements responsables en intégrant les enjeux du développement durable ». Un sondage Ifop pour Vigeo Eiris et le FIR (Forum pour l’investissement responsable) précise que, en 2018, 63 % des Français déclarent accorder une place importante aux impacts environnementaux et sociaux dans leur décision de placement, contre 48 % en 2017. Les outils existent. La balle est désormais dans le camp des professionnels du conseil financier afin d’orienter l’épargne des Français dans la bonne direction.

Références :

Ginglinger Edith & Quentin Moreau, « Climate Risk and Capital Structure », Working Paper, janvier 2019.

Krueger Philip, Zacharias Sautner & Laura T. Starks, « The Importance of Climate Risks for Institutionnal Investors », Working Paper, juin 2019.

Kruttli S. Mathias, Brigitte Roth Tran and Summudu W. Watugala, « Pricing Poseidon : Extreme Weather Incertainty and Firm Return Dynamics », Working Paper, septembre 2020.

Les chiffres clés du climat France-Europe et Monde, édition 2 020

Sharfman Mark P. & Chitru S. Fernando, « Environmental Risk Management and the Cost of Capital », Strategic Management Journal, avril 2008.

  • Mise à jour le : 27/10/2020

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