Gestion ISR : un marché en plein essor

Par : edicom

Par Léa Dunand-Chatellet, directeur du pôle investissement responsable de DNCA Finance

La gestion ISR est un marché en forte croissance et qui a profondément évolué depuis vingt ans. Son objectif : développer une finance durable et responsable.

«L’investissement socialement responsable (ISR) est un concept pluriel et en constante évolution » (ISR : Investissement responsable, Hors Collection, Ellipse 2014), qui se situe à la confluence d’exigences économiques et sociétales. Marqué par un tournant majeur dans les années 1990, l’ISR, alors principalement fondé sur des considérations éthiques, s’est élargi vers le concept de développement durable. C’est ainsi que les critères extra-financiers, ESG (environnement, social et gouvernance) ont été progressivement intégrés dans les gestions financières, embrassés par un cadre informel devenu aujourd’hui légal. La gestion ISR est naturellement tournée vers une performance de long terme. Nous allons décrypter les vingt ans écoulés depuis les débuts de la gestion ISR, vingt ans de normalisation…

La responsabilité d’entreprise est-elle devenue un courant dominant ?

Cette question s’avère incontournable aujourd’hui, alors que vingt ans se sont écoulés depuis la publication des premiers rapports de responsabilité ou de développement durable par les entreprises. Si le GRI (Global Reporting Initiative) a encadré depuis 1997 les rapports RSE des entreprises (rapport de responsabilité entreprise) par des directives applicables mondialement, la régulation a plus récemment édicté un cadre légal comme, par exemple en France, avec l’article 225 du Grenelle II sur la publication obligatoire pour les sociétés cotées d’informations sur les conséquences sociales et environnementales de leurs activités (loi NRE en 2001, décret en 2010).

Plus récemment, le reporting intégré des données ESG dans les rapports financiers s’est imposé, soutenu par l’IIRC (International Integrated Reporting Council). Aujourd’hui, plus de trois mille rapports intégrés sont publiés chaque année à l’échelle mondiale. Au début des années 2000, moins de 10 % des sociétés cotées publiaient un rapport RSE.

De même, peu affichaient une fonction interne dédiée aux enjeux du développement durable. En 2010, ce taux est monté à 50 %, accompagné par l’émergence de fonctions telles que directeur du développement durable ou encore responsable HSE (hygiène, sécurité, environnement). Aujourd’hui, la plupart des entreprises cotées, y compris de petite taille, présentent un rapport ESG intégré et ont créé une fonction dédiée au plus haut niveau hiérarchique (comité de direction et conseil d’administration). Une première conclusion s’impose : la transparence de l’information issue des rapports de RSE n’est plus un indicateur matériel suffisant.

Certes, cette conclusion est à modérer pour les entreprises cotées dans les pays émergents mais, pour autant, elle permet de comprendre l’évolution du marché. L’analyse ISR historique offrait des opportunités d’investissement évidentes grâce à une dichotomie de transparence. Ainsi, la publication des procédures, des politiques internes, d’indicateurs et d’objectifs étaient, sinon un gage de qualité, un témoin de la prise en compte par les entreprises des enjeux de long terme.

Evaluer les risques pour tous les secteurs

Si la responsabilité d’entreprise n’apporte plus aujourd’hui de réelles opportunités d’investissement, elle continue de jouer son rôle de lanceur d’alertes et constitue un excellent proxy pour évaluer la qualité de la gestion de l’entreprise, notamment la gestion des risques.

En effet, la multitude des indicateurs présentés dans les rapports annuels (quarante-neuf indicateurs de base et trente indicateurs supplémentaires dans le référentiel GRI) offre une deuxième lecture de la santé des entreprises. Elles sont désormais comparables, en absolu, au sein d’un secteur et surtout dans le temps.

L’évolution de certains indicateurs offre une analyse complémentaire souvent non encore intégrée dans les états financiers. Une hausse anormale du turnover, des accidents du travail ou encore de l’absentéisme peut témoigner d’un mal-être dans l’entreprise ou encore d’un climat social dégradé qui aura un impact sur la compétitivité et la performance économique (1 % d’absentéisme représente 1 % de coût de masse salariale supplémentaire).

Dans ce contexte, nous considérons la responsabilité d’entreprise, non plus comme une opportunité d’investissement, mais comme un formidable vivier d’informations pour évaluer les risques auxquels les entreprises font face, notamment dans leurs interactions avec leurs parties prenantes – salariés, fournisseurs, clients, communautés locales, actionnaires, etc. – et ce, quel que soit leur secteur d’activité.

Du développement durable vers la transition économique durable

Nombreux sont les codes et les guides qui encadrent les principes du développement durable depuis sa première apparition en 1987 dans le rapport Brundtland (du nom de Gro Harlem Brundtland, alors ministre norvégienne de l’Environnement présidant la Commission mondiale sur l’environnement et le développement, ce rapport est soumis à l’assemblée des Nations unies en 1986). Depuis 2015, les dix-sept objectifs de développement durable édictés par les Nations unies offrent un cadre de lecture transversal et pédagogique pour comprendre les grands enjeux de demain.

La conviction repose sur une perspective à long terme du financement de l’économie. En tant que gérant d’actifs responsable notre rôle est de sélectionner les sociétés présentant les meilleurs atouts stratégiques et économiques pour répondre aux enjeux de demain. Nous sommes convaincus que la capacité de ces acteurs à anticiper leur marché est cruciale pour conquérir ou maintenir leur leadership. C’est ainsi qu’en identifiant l’exposition à la transition économique durable des entreprises, nous construisons une surperformance robuste de nos portefeuilles. La transition économique durable est, avant tout, source d’opportunités d’investissement. Le travail des gestions ISR est d’identifier les thématiques pertinentes pour la transition économique durable et, par déclinaison, de sélectionner les entreprises qui y contribuent.

La régulation, premier moteur de la gestion ISR, et après ?

La régulation a poussé le marché vers cette normalisation. La politique européenne en matière de RSE (responsabilité sociale d’entreprise) a débuté en 2001 avec le livre vert renouvelé fin 2011. Parallèlement la Commission européenne a lancé une initiative législative sur le reporting extra-financier et souhaite harmoniser les cadres nationaux déjà en place. La France a été pionnière avec la loi relative aux Nouvelles régulations économiques (NRE) en 2001, qui ciblait les entreprises cotées avec l’obligation de rendre compte dans le rapport annuel de la gestion sociale et environnementale (700 entreprises concernées au départ). La loi Grenelle II en 2010 a étendu cette obligation à un plus de trois mille entreprises. Une régulation similaire impose, depuis 2015, aux investisseurs français (institutionnels et sociétés

de gestion) de fournir des informations concernant la prise en compte des enjeux environnementaux et sociétaux dans leurs investissements : la loi sur la transition énergétique.

S’il est vrai que la régulation a porté la croissance des gestions ISR depuis dix ans (310 milliards d’euros d’encours fin 2017, encours multiplié par quinze en dix ans), une deuxième conclusion s’impose : on constate aujourd’hui un attrait naturel des épargnants pour une gestion financière responsable, nouveau relais de croissance structurel et porté par l’évolution des mentalités.

Les fonds ISR, une offre très diversifiée…

Côté gestion, les premiers fonds ISR sont apparus dans les années 1980, exclusivement gérés sur la base d’exclusions sectorielles (tabac, armement, alcool, etc.). L’amélioration de la transparence des entreprises sur ces sujets a permis dans les années 2000 de voir émerger les gestions dites best-in-class. Principalement tournées vers les investisseurs institutionnels, ces gestions représentent encore plus de 80 % des encours.

Pourtant la stratégie dominante, le « best-in-class », n’a pas su convaincre les épargnants par manque de lisibilité et de différentiation par rapport aux gestions classiques. C’est ainsi que les gestions thématiques ont émergé sur fond de stratégie d’investissement simple, robuste et surtout accessible grand public : fonds eau, changement climatique, emploi…

Depuis 2010, les fonds ISR de conviction ont pris une place importante. Ces gestions plus sélectives et exigeantes sont agnostiques des indices et ont pour objectif de proposer des portefeuilles purs correspondant aux enjeux du développement durable. Ainsi, des mesures d’impact concrètes (empreinte carbone, investissement dans la transition durable, etc.) sont proposées, répondant ainsi plus spécialement à la demande des épargnants d’avoir une gestion ISR lisible et engagée.

Une troisième conclusion s’impose : sélectionner un fonds ISR qui investit en ayant un impact réel et mesurable suppose une analyse approfondie de son portefeuille et de ses reporting.

…Une exigence de qualité indispensable pour les épargnants

Comment répondre efficacement à la demande des épargnants d’investir dans des fonds responsables et contribuant réellement au développement durable ? Le label ISR français apporte une première réponse.

Créé en 2016 et soutenu par le ministère des Finances, ce label a pour objectif de rendre plus visibles les produits d’investissement socialement responsables (ISR), à ce jour cent-soixante-dix-huit fonds sont labélisés. Le label atteste par une certification externe de l’existence d’une analyse extra-financière des titres et de mesures de reporting ESG.

Pour autant, le label ISR n’a pas pour objectif de mesurer la qualité des portefeuilles, c'est-à-dire les titres réellement investis. En conclusion finale, l’offre de produits ISR est aujourd’hui importante et balaye un spectre large de classes d’actifs et de styles de gestion, allant des ETF à la gestion de conviction en passant par la gestion best-in-class indicielle.

Il est essentiel de comprendre la demande des épargnants pour offrir des produits ISR en ligne avec leurs attentes. Et en l’occurrence, il semble que la recherche d’une finance responsable avec des impacts sociaux et environnementaux réels ne puisse exister sans une gestion différenciante et transparente. Un indicateur pertinent pour l’évaluer est, notamment, la transparence des modèles d’analyse, de la composition des portefeuilles et la qualité des reporting mensuels en matière d’informations ESG.

  • Mise à jour le : 29/01/2019

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