Pourquoi les portefeuilles financiers ont besoin d’alternatives

Par : edicom

Par Emmanuel Schafroth

L’appétit des investisseurs pour les actifs alternatifs ne se dément pas, et il y a de bonnes raisons à cela. La quête de diversification et de rendement passe aujourd’hui par des voies bien différentes de celles d’hier.

Un récent sondage réalisé pour le compte d’Axa IM auprès de 122 assureurs européens révèle que 59 % d’entre eux envisagent d’augmenter leur allocation aux actifs alternatifs en 2017. Certes, la clientèle patrimoniale ne partage pas toutes les contraintes des institutionnels, qui doivent gérer leurs portefeuilles en fonction des contraintes de leur passif et sous le joug d’une réglementation qui s’est considérablement alourdie.

Il n’empêche que tous les investisseurs, quels qu’ils soient, subissent le contexte actuel de taux bas. Et le temps où une saine gestion de patrimoine pouvait se contenter d’une classique stratégie de portefeuille 60/40 (60 % d’actions, 40 % d’obligations) est bel et bien révolu. Si ce n’est définitivement, du moins durablement. En effet, à force de politiques ultra-accommodantes de la part des banques centrales, les actions, vecteurs incontournables de performance dans un portefeuille, sont aujourd’hui assez bien valorisées, voire clairement chères si l’on parle des Etats-Unis. De plus, le contexte politique incertain les rend sujettes à des accès de volatilité qui pourraient être de plus en plus fréquents à mesure que les banquiers centraux vont « lever le pied » et normaliser leurs politiques.

Mais il y a plus problématique : la poche obligataire sans risque classique, encore présente dans de nombreux portefeuilles, ne remplit plus du tout le rôle pour lequel on l’utilisait hier. Malgré une petite remontée des taux d’intérêt ces derniers mois, elle ne permet plus de générer le rendement décent et relativement stable qu’elle délivrait il y a quelques années encore. Et ce rendement faible, voire nul, des obligations d’Etat a aussi un effet collatéral dommageable. « C’est bien le potentiel de baisse des rendements, dans les moments où l’aversion au risque ou la détérioration des fondamentaux plombent les marchés actions, qui est à la source, historiquement, de la faible corrélation entre actions et obligations », explique Salman Ahmed, responsable de la stratégie d’investissement de Lombard Odier IM. Quand les rendements obligataires sont déjà au plancher et offrent donc peu de potentiel de baisse, le pouvoir diversifiant des obligations devient bien moindre, et la logique vaut aussi pour les obligations privées.

Les Hedge Funds : plus si alternatifs !

Une première solution pour retrouver une meilleure diversification des risques est de s’exposer à des stratégies typiques des Hedge Funds, comme les stratégies dites de valeur relative : il ne s’agit plus ici de miser sur la direction d’un marché, mais de jouer sur la variation relative entre titres d’un même marché. Un exemple typique est fourni par les stratégies dites long/short equity qui vont combiner des positions acheteuses et vendeuses sur différentes actions, grâce à l’utilisation de dérivés. Nées dans l’univers des Hedge Funds, ces stratégies alternatives liquides sont aujourd’hui largement disponibles au format Ucits, plus rassurant pour les investisseurs, car il offre généralement une liquidité quotidienne et une meilleure transparence.

Souvent, ces stratégies long/short conservent toutefois un « biais long », c’est-à-dire une exposition résiduelle au marché qui va souvent être de 30 à 40 % de leur actif (c’est le cas du fonds Zephyr d’Exane AM, ou des long/short proposés par Moneta AM ou Amplegest).

A l’heure où les banques centrales vont commencer à normaliser leurs politiques, de telles stratégies retrouvent leur intérêt et vont permettre notamment de diminuer fortement la volatilité de l’investissement. Certaines stratégies vont plus loin, en éliminant totalement le risque de marché (on parle de stratégies market neutral) : ainsi de la stratégie Exane Overdrive, malheureusement réservée aux investisseurs institutionnels, qui peut se targuer d’une performance annualisée supérieure à 9 % depuis son origine, avec une volatilité très faible (4,5 %). Il existe une foule d’autres stratégies alternatives liquides, plus ou moins complexes, et on peut d’ailleurs ranger le fameux Carmignac Patrimoine dans la catégorie des fonds dits global macro, qui prennent des positions sur divers types d’actifs en fonction de vues sur l’évolution de l’économie mondiale.

Ces derniers temps, on a vu apparaître de nouveaux types de fonds alternatifs liquides : les fonds dits risk premia : ils cherchent à capturer sur différents marchés des facteurs reconnus par la recherche financière comme étant porteurs de surperformance. Un exemple parmi d’autres : les actions ayant une volatilité faible ont statistiquement de meilleures performances sur le long terme que leurs homologues plus volatiles, contrairement à ce que prédit la théorie financière classique. Le fonds ERAAM Premia est ainsi exposé à une vingtaine de primes de risques et vise à une diversification maximale entre toutes les classes d’actifs (actions, obligations, matières premières devises) avec l’objectif de battre une stratégie 50 % actions/50 % obligations : un pari pas tout à fait tenu depuis le lancement en décembre 2015 (7,3 % de performance, contre 10 % pour son benchmark), mais une stratégie qui lui permet de ne pas porter de risque de taux d’intérêt.

Toujours en restant dans les classes d’actifs liquides, on peut également trouver des stratégies alternatives très différenciées, comme celle proposée par Karakoram, qui met en œuvre des techniques de Day Trading, en se fondant notamment sur les anomalies de marché qui peuvent apparaître lors des publications d’analystes sur les sociétés. Le fonds liquidant l’essentiel de ses positions dans la journée même où elles sont prises, sa volatilité est extrêmement faible (moins de 1 %) et son objectif de performance (Eonia + 2 %) en fait un possible substitut au fonds en euros.

Le capital-investissement : mieux que les actions cotées

Mais pour trouver des placements réellement alternatifs, il vaut mieux avoir du temps devant soi et accepter de renoncer à une des vertus des actions cotées : la possibilité de liquider immédiatement et en permanence son investissement. Passons sur l’immobilier, qui est évidemment l’actif illiquide préféré des Français (il représente en moyenne 59 % de leur patrimoine net) et est souvent détenu en direct, même si SCPI et OPCI ont connu une année record en 2016.

Moyennant une durée d’immobilisation des fonds qui peut être longue, le capital-investissement ou Private Equity (investissement dans des sociétés non cotées) constitue une diversification intéressante.

En témoigne l’étude annuelle de performance réalisée par EY pour l’Association française des investisseurs en capital (Afic) : sur la période de dix ans achevée fin 2015, et qui inclut donc la période de la crise financière de 2007-2009, la performance annuelle moyenne du capital-investissement français ressort à 10 %, contre 4 % pour le Cac 40 dividendes réinvestis (ou 5,3 % pour l’indice Cac All-Tradable). On retrouve bien ici la « prime d’illiquidité » attendue, et elle est même plus forte encore si l’on s’intéresse seulement aux fonds de capital-transmission (14 % de performance moyenne annuelle).

« Typiquement, les fonds de capital-investissement sont levés pour dix ans, avec une phase d’investissement de cinq ans et une phase de désinvestissement de cinq ans, rappelle Nicolas de Quincerot, banquier d’affaires chez Degroof Petercam. L’investisseur doit donc accepter la fameuse “courbe en J” puisqu’il va payer des frais de gestion dès le début alors que les plus-values ne viendront que lors de la deuxième moitié de la vie du fonds. Certaines banques privées ont mis en place des fonds dédiés (“feeders”) permettant à leur clients d’investir en Private Equity. D’une manière générale, plusieurs supports sont possibles : l’investissement en fonds de fonds (en primaire lors des levées ou par rachat de blocs secondaires), en co-investissement (auprès d’un investisseur majoritaire) ou en direct dans des PME. On voit aussi se développer des fonds d’entrepreneurs, comme Capital Croissance, Apicap ou Pleiade, par exemple, qui vont lever des capitaux auprès d’investisseurs privés par appels de fonds successifs. »

Ces fonds, généralement orienté vers des PME de croissance, ont de quoi séduire d’autres entrepreneurs, mais là encore, les tickets d’entrée minimaux sont importants : ils peuvent se chiffrer en centaines de milliers d’euros. A l’inverse, les fonds dits fiscaux (FIP et FCPI) ont l’avantage d’être très accessibles : moyennant des contraintes d’investissement assez restrictives, ils offrent un avantage fiscal significatif (impôt sur le revenu ou ISF), avec des performances toutefois assez disparates. Mais d’autres solutions se développent pour permettre d’accéder à l’univers des actions non cotées en s’affranchissant des contraintes de fonds à échéance prédéterminée : les sociétés de capital-risque (SCR) investissent en non-coté et bénéficient d’un régime fiscal favorable sur les plus-values.

Elles-mêmes peuvent être cotées en Bourse, ce qui permet d’assurer plus facilement la liquidité tout en bénéficiant sur longue période de la performance générée par l’équipe de gestion. C’est le cas de Altur Investissement, émanation de Turenne Capital, ou de Nextstage (lancé par la société de gestion Nextstage AM), qui compte à son capital des institutionnels comme Amundi ou Axa, mais aussi des family offices comme Artémis (holding de François Pinault) et dont le fonds nourricier, Nextstage Croissance, est un fonds d’investissement alternatif (FIA) éligible, lui à l’assurance-vie. Le capital-investissement se démocratise et se diffuse ainsi à l’ensemble des enveloppes fiscales.

Gare cependant aux valorisations dans le secteur ! « On voit actuellement des multiples de valorisation élevés, qui rappellent les années d’avant crise, même si les bilans des entreprises sont aujourd’hui bien plus sains qu’en 2008, conclut Nicolas de Quincerot. La sélectivité et la diversification sont de mise. » Pour un patrimoine élevé, on peut imaginer de consacrer au capital-investissement jusqu’à 15 % du patrimoine financier, la limite étant évidemment le besoin de liquidité éventuel des investisseurs.

Les infrastructures : des investissements rassurants, mais des durées d’immobilisation très longues

Les investissements en infrastructures sont un cas particulier du capital-investissement, plus difficilement accessible à une clientèle individuelle. « Ils reposent, certes, sur des actifs offrant une grande stabilité comme des concessions autoroutières, des réseaux d’eau ou d’énergie, ou encore des aéroports, et ils peuvent ainsi être considérés comme des investissements de bon père de famille, mais la durée d’immobilisation est particulièrement longue – dix à douze ans, à quoi peuvent s’ajouter trois ans de flexibilité, explique Harold d’Hauteville, directeur Infrastructure Europe de Deutsche AM. D’où un appétit des banques privées pour les fonds investissant dans des sociétés d’infrastructures cotées en Bourse. » Mais avec un investissement direct dans les infrastructures, on peut espérer capter, en plus de la prime d’illiquidité, une « prime de complexité ». « Si pour certains actifs très en vue, les prix peuvent vite devenir déraisonnables, nous préférons nous concentrer sur les situations les plus compliquées, là où nous apportons une valeur ajoutée », poursuit Harold d’Hauteville.

Dette privée et « Cat Bonds » : un rendement protégé de l’inflation

Avec ce type d’actifs – tout comme les fonds de dette infrastructure –, il est possible de générer des rendements assez élevés et stables, ce qui est aujourd’hui un vrai défi. Les obligations n’offrent plus cet intérêt, sauf à aller des maturités obligataires très longues, ce qui augmente le risque lié à une hausse des taux, ou à se diriger vers le High Yield et être exposé, cette fois, à un risque proche de celui des actions. Ce contexte fait tout l’intérêt de la dette privée, c’est-à-dire non-cotée, qui peut prendre la forme de loans bancaires ou d’obligations selon les pays.

« Ce marché a l’avantage d’offrir une durée de blocage des fonds plus courte – de l’ordre de six ans – que le capital-investissement, mais aussi celui de procurer un rendement élevé, qui n'est pas affecté par l’inflation de manière négative, car les taux sont toujours flottants, explique Pascal Meysson, directeur d’Alcentra (groupe BNY Mellon IM). Nous sommes en général le seul prêteur et il n’y a pas de marché secondaire, ce qui nous oblige à porter la dette jusqu’à échéance (refinancement ou sortie de l'actionnaire) et nos prêts sont toujours sécurisés par l’ensemble des actifs des sociétés (en qualité de bénéficiaire de premier rang, généralement), et contrôlés via des covenants de maintenance. Par ailleurs, les taux d'intérêt visés sont de l’ordre de 7,5 % au-dessus du Libor, là où dans le marché des prêts syndiqués les taux d'intérêt actuels sont de l'ordre de Libor + 3,5 % pour un profil de risque émetteur similaire. » Mais si l’intérêt pour la dette privée est grandissant, une autre classe d’actifs alternative reste au contraire boudée par les investisseurs, à qui elle rappelle de mauvais souvenirs. « Depuis neuf ans, la titrisation n’a plus tellement les faveurs des investisseurs, et c’est bien parce qu’il est peu suivi que ce marché offre des rendements attrayants, sourit David Harris, directeur d’investissement senior chez Schroders. Il représente plus de 15 trillions de dollars aux Etats-Unis et 2 trillions en Europe et, contrairement à ce qu’on peut croire, est assez liquide. » Ces titres peuvent être adossés à divers types d’actifs, des prêts étudiants aux encours de cartes de crédit, en passant par les crédits hypothécaires sur de l’immobilier résidentiel ou commercial. « Nous sélectionnons les types d’actifs où nous investissons en fonction d’éléments macro, comme l’activité économique ou les changements réglementaires, puis en analysant chaque émission : en fonction des stratégies et du niveau de volatilité accepté, on peut viser des rendements de 50 à plus de 400 points au-dessus du Libor », résume David Harris. Mais ce sont essentiellement des investisseurs institutionnels ou les banques centrales qui s’intéressent à ce genre d’actifs.

En revanche, il est un type particulier de titrisation qui a un grand avenir devant lui et tout pour séduire une clientèle de particuliers : les Cat Bonds ou obligations catastrophes. Ces titres sont généralement émis sur des durées de trois ou quatre années par des assureurs, mais aussi par des agences supranationales, voire des gestionnaires d’infrastructures de transport pour se couvrir contre les risques naturels (inondations, cyclones, etc.). Si aucune catastrophe ne survient, l’investisseur touche ses coupons et est remboursé de son capital : en investissant dans un fonds, comme celui lancé par Lombard Odier, on peut espérer un rendement de 2 à 4 % au-dessus du taux sans risque, avec une volatilité très faible et, dans cet univers, les taux systématiquement variables protègent contre une éventuelle hausse des taux.

  • Mise à jour le : 12/04/2017

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