Abus de droit à but principalement fiscal (Acte II) : la peur n’évite pas le danger…

Par : edicom

Par Jacques Duhem et Stéphane Pilleyre de FAC JD et Associés

Le vote définitif de la loi de finances pour 2019 et en particulier de son article 109 a déjà fait couler beaucoup d’encre… Les réactions sont diverses et variées quant à l’interprétation à donner au nouvel article L. 64 A du Code général des impôts qui vise l’abus de droit à but principalement fiscal (« mini-abus de droit »).

La publication récente d’un communiqué de presse par Bercy vient a priori apporter un léger éclaircissement dans l’analyse jusqu’alors très sombre de cette nouvelle mesure…

Un dispositif censuré par le Conseil constitutionnel en 2013

Dans la décision n°2013-685 DC du 29 décembre 2013, le Conseil constitutionnel a censuré l’article 100 de la loi de finances pour 2014 qui élargissait le champ de l’abus de droit fiscal de l’article L64 du LPF.

Cet article 100 avait pour objet d’étendre le champ d’application de la procédure d’abus de droit prévue à l’article L64 du livre des procédures fiscales (LPF) en permettant à l’administration d’avoir recours à cette procédure, assortie d’une majoration de 80 % des droits dus, lorsque l’opération mise en œuvre par le contribuable avait pour objectif principal, et non exclusif, d’échapper à l’impôt.

Cet article a été censuré pour incompatibilité avec les dispositions de l’article 34 de la Constitution, qui impose, au législateur, « d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques afin de prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d’arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n’a été confiée par la Constitution qu’à la loi ».

Le Conseil constitutionnel avait relevé que la modification des dispositions de l’article L64 du LPF (retenant le concept d’abus de droit pour motif principalement fiscal) a eu « pour effet de conférer une importante marge d’appréciation à l’administration fiscale ». Il en a déduit que, compte tenu des lourdes sanctions applicables en cas de mise en œuvre de la procédure d’abus de droit, l’article 100 méconnaissait aussi bien les exigences de l’article 34 de la Constitution que celles de l’article 8 de la Déclaration de 1789.

Le Conseil constitutionnel a donc considéré que c’était au législateur de définir le contour du motif principalement fiscal, faute de quoi, l’Administration aurait une trop grande liberté dans l’interprétation des textes.

Le conseil constitutionnel n’a pas été saisi en 2018…

Etonnamment le Conseil constitutionnel n’a pas été saisi fin 2018. Il ne s’est pas plus auto-saisi. Parmi les députés qui avaient saisi le conseil en 2013 sur le même sujet, on peut trouver des parlementaires disposant encore de leur mandat en 2018. Certains d’entre eux sont désormais ministres…

Une censure du conseil constitutionnel désormais envisageable via une QPC à horizon de 2021…

Le Conseil constitutionnel n’ayant pas été saisi suite au vote de la loi de finances pour 2019, il va désormais falloir attendre une potentielle question prioritaire de constitutionnalité (QPC).

La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a introduit dans la Constitution un article 61-1 qui crée la question prioritaire de constitutionnalité. Cette réforme ouvre aux citoyens le droit de contester la constitutionnalité d’une loi promulguée à l’occasion d’un procès.

Malheureusement, pour saisir le Conseil constitutionnel via une QPC, il faut que le contribuable soit dans le cadre d’un contentieux devant une juridiction de l’ordre administratif ou judiciaire, à tous les stades de la procédure.

Il apparaît donc qu’il va falloir attendre le 1er janvier 2021 pour qu’un contentieux avec l’administration fiscale puisse naître au titre des dispositions de l’article L64A du livre des procédures fiscales.

Le juge transmet la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation ou au Conseil d’État, qui dispose alors d’un délai de trois mois pour l’examiner et renvoyer le cas échéant cette question au Conseil constitutionnel. Celui-ci doit également statuer dans le délai de trois mois.

Un critère «principal» difficile à déterminer dans la pratique

Depuis la publication de la loi de finances pour 2019, les écrits sont nombreux sur le sujet. Il est vrai que le terme « principal » conduit à une interprétation plus ou moins pessimiste de l’avenir fiscal.

La difficulté va résider sur le fait qu’il va falloir comparer un objectif fiscal procurant des avantages chiffrables (économie d’impôt) et un objectif autre tel qu’une motivation affective (volonté de gratifier ou protéger un proche), comptable (apurement des passifs sociaux, sortie de la trésorerie excédentaire non nécessaire) ou juridique (arrivée d’un nouvel actionnaire…).

Ces objectifs autres que fiscaux sont nombreux mais difficilement chiffrables. Comment les prendre en compte dans la comparaison afin de déterminer l’objectif principal ?

Face à une telle difficulté, l’administration pourrait être amenée à lister des montages considérés comme à but principalement fiscal.

Il existe d’ores et déjà une carte des pratiques et montages abusifs (non exhaustive) disponible sur le site economie.gouv.fr (portail de l’Économie, des Finances, de l’Action et des Comptes publics).

Il nous est précisé à ce titre : « Cette nouvelle rubrique s’inscrit dans une démarche de prévention et de sécurité juridique apportée aux contribuables en les informant des risques qu’ils prendraient en mettant en place ou en conservant des montages destinés à réduire indûment l’impôt. Elle contient des exemples de montages révélés lors de contrôles fiscaux et contraires à la loi. l’administration découvre ces montages, elle les remet en cause après un examen attentif des faits et applique des pénalités appropriées. Si vous avez utilisé ce type de montage, vous pouvez régulariser votre situation en déposant des déclarations rectificatives auprès de votre service gestionnaire. L’administration appréciera, en fonction des circonstances propres au dossier, les conséquences qu’il convient d’en tirer. Cette rubrique sera régulièrement complétée. Mais elle ne prétend bien entendu pas à l’exhaustivité. »

L’éclairage de Bercy…

Dans un récent communiqué de presse ministériel, Bercy se veut rassurant. […] Sur la forme, on rappellera qu’un communiqué ministériel n’a aucune valeur juridique. En aucun cas, il ne sera possible de s’en prévaloir sous l’angle des dispositions des articles L80 A et L80 B du LPF.

L’administration liste (BOI-SJ-RES-10-10-10-20130718) les documents qui portent interprétation d’un texte fiscal ; il s’agit :

- Des instructions et circulaires administratives ;

- Des réponses ministérielles ;

Les réponses écrites des ministres aux questions posées par les parlementaires, publiées au Journal officiel de la République française constituent une source d’interprétation de la loi fiscale au sens de l’article L. 80 A du LPF sous réserve qu’elles se rapportent à la détermination de la base imposable ou à l’assiette de l’impôt et qu’elles émanent de l’autorité compétente.

- Des précisions de doctrine administrative ;

- Des réponses aux demandes individuelles des contribuables.

Sur le fonds, la réponse a un champ d’application limité. Elle ne vise que les donations avec réserve d’usufruit.

Nombre de situations non visées pourraient être concernées

On pourrait voir un objectif principalement fiscal dans de nombreuses situations. Pour appliquer l’abus de droit à but principalement fiscal, il faudra démontrer que l’auteur a recherché le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs.

Il va donc falloir retrouver quelles ont été les motivations des différents dispositifs fiscaux.

L’optimisme peut être de rigueur lorsqu’il s’agit :

- De la souscription d’un PEA au lieu d’un compte titres ;

- De l’acquisition d’un bien dans le cadre d’un régime de défiscalisation ;

- Du recours au dispositif Dutreil ;

- Du recours à l’assurance vie ;

- De la donation en pleine propriété et avec réserve d’usufruit.

Mais quid :

- D’un apport avant cession malgré le remploi de 60% du prix cession dans une activité économique et une investissement « patrimonial » à hauteur des 40% restant ?

- De la vente d’un bien immobilier à une SCI constituée par le propriétaire cédant ?

- De réaliser un OBO ?

- De l’apport de la nue-propriété d’un bien immobilier à une SCI, suivi de la donation des parts aux enfants ?

- Du recours aux sociétés holding et du régime mère fille ou de l’intégration fiscale ?

- De la constitution d’une SCI passible de l’IS avec un capital faible et d’importants comptes courants d’associé suivie d’une mise en réserve du résultat et d’une sortie de la trésorerie via le compte courant d’associé ?

- De la transformation d’un bien propre en bien commun avant la donation en pleine propriété par les époux aux enfants ?

- De la constatation d’un écart de réévaluation lorsque la société est à l’IR puis de l’assujettir à l’IS ?

- De la réduction de capital en alternative à une distribution les réserves ?

- De l’acquisition d’un bien immobilier via une SCI à l’IS suivie au terme de 5 années d’une dénonciation de l’option IS pour un passage à l’IR… ;

- De l’apport à une SARL de famille d’un bien ayant relevé du dispositif Censi-Bouvard ;

- De l’acquisition par une société opérationnelle de l’usufruit des parts de la SCI à l’IR qui détient l’immeuble dont elle est locataire.

- etc.

On attendra avec impatience les réponses de Bercy, dans le cadre de la publication d’un BOFiP, de réponses aux questions de parlementaires (Une question a notamment été posée le 10 janvier 2019 par le Sénateur Malhuret) et aux rescrits déposés par les contribuables.

L’inquiétude d’une majorité des praticiens nous semble donc parfaitement justifiée.

  • Mise à jour le : 31/01/2019

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