Les opportunités de l’apport-cession

Par : edicom

Par Guillemette Thomas, collaboratrice, au sein du cabinet Alerion, et Stanislas Vailhen, associé du département fiscal

Le régime du report d’imposition s’applique aux apports de titres à une société contrôlée par l’apporteur réalisés depuis le 14 novembre 2012. Il permet de différer l’imposition de la plus-value d’apport du contribuable à l’impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux à la réalisation d’un événement ultérieur mettant fin au report. Cette plus-value est néanmoins calculée et déclarée par le contribuable l’année où l’apport est effectué. Cet article se concentre sur les cas dans lesquels la société bénéficiaire de l’apport cède les titres reçus peu de temps après l’apport (apport-cession).

Ce dispositif codifié à l’article 150-0 B ter du Code général des impôts (CGI), issu des dérives d’application du régime de sursis d’imposition, est soumis à diverses conditions permettant de sécuriser l’opération envisagée, ainsi qu’à un formalisme particulier.

Le régime du report d’imposition

Le législateur, en introduisant l’article 150-0 B ter dans le CGI à l’occasion du vote de la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012, avait pour objectif de fixer un cadre de nature à éviter la qualification d’abus de droit aux opérations d’apport-cession, pour lesquelles le réinvestissement réalisé était jugé soit insuffisant en termes de pourcentage de réinvestissement du produit de la vente des titres préalablement apportés, soit non qualifiant car ne correspondant pas à un réinvestissement de nature économique.

L’administration fiscale remettait alors en cause les opérations d’apport-cession sur le fondement de l’abus de droit fiscal codifié à l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales (LPF) lorsqu’elle était en mesure de démontrer que d’une part, ce schéma permettait de placer la plus-value en différé d’imposition tout en dégageant des liquidités, contournant ainsi l’objectif du législateur, et d’autre part, ce montage répondait à un but exclusivement fiscal dès lors que les liquidités retirées de la cession des titres par la société bénéficiaire n’étaient pas réinvesties de manière significative et dans un délai raisonnable dans une activité économique. En d’autres termes, pour l’administration fiscale, lorsque la qualification d’abus de droit était retenue, le contribuable aurait dû céder directement les titres à un acquéreur, puis réinvestir lui-même le produit de cette cession sans procéder à l’opération d’apport, qui dans l’esprit de l’administration fiscale avait alors pour seul but d’échapper au paiement immédiat de l’impôt sur la plus-value.

Bien que le Comité des abus de droit (1) et le Conseil d’Etat (2) aient eu l’occasion d’essayer de définir et de circonscrire les cas dans lesquels l’administration fiscale peut être fondée à invoquer l’abus de droit dans le cadre d’opérations d’apport-cession, et donc de facto à remettre en cause le régime de faveur invoqué, il n’en demeurait pas moins que l’incertitude contentieuse planant constamment sur ce type d’opérations constituait une source d’insécurité importante pour le contribuable, qui a poussé le législateur à envisager la codification des critères retenus par la jurisprudence et le comité des abus de droit pour offrir davantage de sécurité juridique aux contribuables.

Un dispositif conditionné

Le régime du report d’imposition en cas d’apport-cession de titres s’applique de plein droit si l’ensemble des conditions suivantes est rempli.

Conditions tenant à la société bénéficiaire de l’apport de titres

L’apport doit être réalisé au profit d’une société située en France, dans un Etat membre de l’Union européenne ou dans un Etat ou territoire ayant conclu avec la France une convention fiscale contenant une clause d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales. En outre, la société bénéficiaire de l’apport doit être soumise à l’impôt sur les sociétés ou à un impôt équivalent.

Conditions tenant au contribuable réalisant l’apport de titres

Le contribuable doit contrôler la société bénéficiaire de l’apport de titres (3). Un contribuable est considéré comme contrôlant une société lorsqu’il détient directement ou indirectement ou par l’intermédiaire de son groupe familial (à savoir conjoint, ascendants, descendants, frères et sœurs), la majorité des droits de vote ou des droits dans les bénéfices sociaux de la société, ou bien lorsqu’il dispose seul de la majorité des droits de vote ou des droits dans les bénéfices sociaux de cette société en vertu d’un pacte d’actionnaires ou d’associés, ou bien encore lorsqu’il exerce en fait le pouvoir de décision.

Le contribuable est présumé exercer ce contrôle lorsqu’il dispose directement ou indirectement d’au moins un tiers des droits de vote ou des droits dans les bénéfices sociaux, et qu’aucun associé ou actionnaire ne détient directement ou indirectement une participation supérieure à la sienne. Par ailleurs, le contribuable et une ou plusieurs personnes agissant de concert sont également considérés comme contrôlant conjointement une société lorsqu’ils déterminent en fait les décisions prises en assemblée générale. Cette condition est appréciée à la date de l’apport.

Conditions tenant au réinvestissement du produit issu de la cession des titres par la société bénéficiaire de l’apport

Si la cession des titres apportés à la société bénéficiaire intervient dans un délai de trois ans apprécié de date à date à compter de l’apport, la société doit s’engager à réinvestir dans un délai de deux ans à compter de la cession, au moins 60 % du produit issu de cette cession, dans une activité économique pour éviter la remise en cause du report d’imposition dont a initialement bénéficié le contribuable (ce taux était fixé à 50 % du produit de la cession jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019).

Le réinvestissement du produit de la cession (y compris, le cas échéant, les compléments de prix versés ultérieurement) par la société cédante peut porter sur :

- soit le financement de moyens permanents d’exploitation affectés à son activité commerciale au sens des articles 34 ou 35 du CGI, industrielle, artisanale, libérale, agricole ou financière. Les activités de gestion de son propre patrimoine mobilier ou immobilier sont exclues du bénéfice de cette dérogation ;

- soit l’acquisition d’une fraction du capital d’une ou de plusieurs sociétés exerçant une telle activité et répondant aux mêmes conditions d’imposition et de siège social que la société bénéficiaire de l’apport.

Ce réinvestissement doit en outre avoir pour effet de lui conférer le contrôle de cette ou ces sociétés ;

- soit la souscription en numéraire au capital initial ou à l’augmentation de capital d’une ou de plusieurs sociétés répondant aux conditions d’activité, d’imposition et de siège social rappelées ci-avant, ou d’une société ayant pour objet exclusif de détenir des participations dans des sociétés opérationnelles répondant à ces critères, quel que soit le pourcentage de capital détenu dans la société dans laquelle la société cédante réinvestit ;

- soit la souscription de parts ou actions de fonds de capital investissement (FCPR, FPCI, SLP, SCR) à condition néanmoins que l’actif desdits fonds soit constitué de 75 % au moins de sociétés opérationnelles répondant aux conditions d’activité, d’imposition et de siège social rappelées ci-avant, et de 50 % au moins (soit deux tiers du quota de 75 %) de sociétés non cotées ou cotées sur un marché réservé aux PME. Ces quotas devront être atteints à l’expiration d’un délai de cinq ans (NB : cette hypothèse de réinvestissement a été introduite par la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019).

Les biens ou titres objet du réinvestissement doivent être conservés pendant au minimum douze mois à compter de la date de leur inscription à l’actif de la société, ou au minimum cinq ans à compter de leur souscription s’il s’agit de parts ou actions de fonds de capital investissement.

Un dispositif formaliste

Le régime du report d’imposition en cas d’apport-cession de titres est soumis au respect de diverses obligations déclaratives afin d’en faciliter le suivi et le contrôle par l’administration fiscale.

Obligations déclaratives pesant sur le contribuable

L’année de l’apport des titres à la société bénéficiaire, la plus-value d’apport placée sous ce mécanisme doit être déterminée et déclarée par le contribuable sur la déclaration des plus-values en report d’imposition n° 2074-I,  puis reportée sur sa déclaration de revenus n° 2042

en case 8UT. Une attestation émise par la société bénéficiaire de l’apport précisant qu’elle est informée que les titres qui lui ont été apportés sont grevés d’une plus-value en report d’imposition en application de l’article 150-0 B ter du CGI doit être également adossée à ces déclarations.

Par la suite, chaque année et jusqu’à l’expiration du report d’imposition, le contribuable mentionne en case 8UT de sa déclaration de revenus n° 2042 le montant de l’ensemble des plus-values en report d’imposition, lequel comprend la plus-value dont l’imposition a été reportée en application de l’article 150-0 B ter du CGI.

Lorsque la société bénéficiaire de l’apport cède les titres apportés dans un délai de trois ans à compter de l’apport dont elle a bénéficié, le contribuable doit déclarer cet événement dans l’état de suivi des plus-values en report d’imposition n° 2074-I (Cerfa n° 11705) annexé à la déclaration spéciale des gains de cession de valeurs mobilières et de droits sociaux, y compris lorsque la société s’engage à réinvestir, dans les conditions prévues, le produit de la cession des titres apportés dans un délai de vingt-quatre mois.

Obligations déclaratives pesant sur la société bénéficiaire de l’apport

La société bénéficiaire de l’apport de titre mentionne sur une attestation annexée à sa déclaration de résultat de l’année de survenance de la cession des titres reçus, les informations suivantes :

- la date de la cession des titres qui lui ont été apportés ;

- le nombre de titres cédés, ainsi que leur prix de cession ;

- l’engagement de remployer au moins 60 % du produit de la cession des titres concernés dans les conditions rappelées ci-avant.

Lorsque la société a satisfait à la condition de remploi dans le délai de deux ans qui lui était imparti, elle doit joindre à sa déclaration de résultat de l’année du remploi, une attestation mentionnant les informations suivantes :

- le montant du produit de cession réinvesti ;

- la nature et la date du réinvestissement ;

- le cas échéant, la dénomination et l’adresse du siège social de la société dans laquelle le produit de la cession des titres a été remployé.

Une copie de ces attestations doit être également transmise au contribuable ayant réalisé l’apport des titres grevés d’une plus-value en report d’imposition.

Conclusion

Depuis sa création par la loi de finances rectificative pour 2012, le dispositif de l’apport-cession sous condition de remploi a connu différents aménagements qui ont contribué à sa simplification et sa clarification : possibilité de réaliser plusieurs opérations successives en report d’imposition, légalisation et réduction du délai de conservation des titres reçus en échange de l’apport, fixation des modalités d’imposition de la plus-value placée en report d’imposition au moment de l’apport et non de la réalisation du fait générateur d’imposition de la plus-value initialement placée en report d’imposition, sous l’influence du Conseil constitutionnel, diversification et élargissement des possibilités de réinvestissement après cession des titres apportés.

C’est aujourd’hui un dispositif qui fonctionne bien et qui offre aux contribuables de réelles opportunités tant en termes d’organisation, que de diversification patrimoniale.

 

1. Voir notamment affaires 2011-16 (défavorable), 2011-17 (favorable) et 2016-56 (défavorable), 2017-06 et 2017-07 (favorables).

2. Le Conseil d’Etat a remis en cause le bénéfice du sursis d’imposition lorsque les sommes réinvesties ne représentaient pas une part significative du produit de la cession des titres (par exemple : 4 % du produit de la cession réinvestis et 60 % affectés à des avances en compte courant qui ont un caractère patrimonial (CE, 3 février 2011, n° 329839, ministre c/Conseil) ; 15 % du produit de la cession réinvestis et 41 % affectés à des avances en compte courant (CE, 24 août 2011, n° 316928, Ciavatta)).

3.  Lorsque la société bénéficiaire de l’apport n’est pas contrôlée par l’apporteur, l’opération d’apport est placée sous le régime du sursis d’imposition prévu par les dispositions de l’article 150-0 B du CGI.

 

Stanislas Vailhen

Stanislas Vailhen a participé à la création d’Alerion, dont il est devenu associé en 2008, au sein du département fiscal. Il a démarré sa carrière chez Gide en 1999, puis a rejoint le cabinet Bignon & Lebray. Il intervient notamment dans les dossiers de fiscalité de l’innovation, de fiscalité des entreprises et de fiscalité immobilière, en particulier en matière de fiscalité indirecte. Il assiste régulièrement ses clients dans le cadre de contrôles fiscaux, d’opération de lobbying et de contentieux devant les juridictions françaises et européennes, en particulier sur des problématiques de compatibilité au regard du droit communautaire. Il assiste régulièrement des sociétés de gestion dans le cadre de structuration d’offres de remploi 150-0 B ter auprès de l’AMF. Avocat au barreau de Paris, il est titulaire d’un LLM en droit international des affaires (université d’Exeter, UK) et du DESS de droit fiscal de l’université de Dijon. Il est membre de l’IBA (International Bar Association) et de l’IFA (International Fiscal Association).

Guillemette Thomas

Titulaire du master 2 de Droit des affaires et fiscalité de l’université d’Orléans, Guillemette Thomas a rejoint Alerion en 2014, et exerce son activité au sein du département fiscal. Elle intervient dans tous les domaines de la fiscalité, soit en conseil, soit lors de procédures de contrôle, et a développé une expertise particulière en matière de fiscalité indirecte (TVA et taxes assimilées, taxe sur les salaires, etc.).

 

 

 

  • Mise à jour le : 23/04/2019

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