Le droit viager au logement

Par : edicom

Article extrait du mémento Droit de la famille 2020-2021 paru aux éditions Francis Lefebvre.

Après le décès de son conjoint, le survivant peut, sous certaines conditions, bénéficier du droit d’habiter sa vie durant le logement principal du couple, ainsi que d’utiliser le mobilier le garnissant. C’est ce qu’on appelle le droit viager au logement. Mais tout n’est pas si simple…

Le droit viager ne doit pas être confondu avec le droit temporaire au logement qui offre au conjoint successible la jouissance gratuite de son logement et du mobilier de ce logement pendant les douze mois qui suivent son veuvage (C. civ. art. 763).

Le droit viager s’exerce à la suite du droit temporaire et sous la même condition d’occupation effective du logement à titre de résidence principale par le conjoint. Jusqu’à son décès, le conjoint survivant bénéficie :

- d’un droit d’habitation sur le logement constituant sa résidence principale et appartenant aux époux ou dépendant totalement de la succession, ainsi que d’un droit d’usage sur le mobilier le garnissant (C. civ. art. 764) ;

- uniquement d’un droit d’usage viager sur le mobilier du logement, si le logement était loué (C. civ. art. 765-2).

Lorsque le logement était détenu par le défunt en indivision avec un tiers, le conjoint ne bénéficie pas du droit viager. Si dans une telle situation le conjoint bénéficie du droit temporaire (sous la forme du remboursement de l’indemnité d’occupation), il ne peut pas prétendre au maintien dans les lieux passé le délai d’un an.

Lorsque le logement était la propriété du défunt par suite d’une donation, le conjoint survivant ne bénéficie pas du droit viager si un droit de retour conventionnel en cas de prédécès du donataire sans postérité s’applique sur ce logement (pour une illustration, Cass. 1re civ. 23-9-2015 n° 14-18.131 : AJ Famille novembre 2015 p. 618, obs. C. Vernières).

Caractéristiques du droit viager

Le droit viager est un droit de nature successorale, et non un effet direct du mariage. Il en résulte les conséquences suivantes :

- le conjoint qui veut bénéficier du droit viager doit accepter la succession ;

- l’acceptation du droit viager emporte acceptation tacite de la succession ;

- la valeur du droit viager s’impute sur les droits successoraux du conjoint survivant.

Le droit viager n’est pas d’ordre public et le conjoint peut en avoir été privé par le défunt, mais seulement par testament authentique (C. civ. art. 764 ; Cass. 1re civ. 15-12-2010 n° 09-68.076 : Bull. civ. I n° 269, BPAT 1/11 inf. 38). Une exhérédation par testament olographe ou mystique laisserait subsister le droit au logement.

A noter d’ailleurs que l’efficacité de l’exhérédation par testament authentique n’est pas absolue. Par exemple, si le testament se limite à la privation des droits d’habitation et d’usage, alors que le conjoint survivant recueille l’usufruit de tous les biens existants en vertu de la loi (parce que tous les descendants sont communs), les droits d’habitation et d’usage seront absorbés par l’usufruit universel non visé par le testament.

Le legs du logement à un tiers emporte-t-il privation des droits viagers du conjoint ? La question est discutée. Selon certains auteurs, cette exhérédation implicite est efficace si le testament a bien été rédigé en la forme authentique. Mais la solution n’a rien d’évident, car le legs du logement n’est pas incompatible avec l’exercice du droit d’habitation et d’usage : le tiers gratifié devra seulement attendre le décès du conjoint pour récupérer le logement dégrevé du droit d’habitation. Dans le doute, il est conseillé de recourir à une disposition explicite, qui évitera toute discussion sur la volonté réelle du disposant.

Le droit viager ne s’applique pas de plein droit : le conjoint survivant doit manifester sa volonté d’en bénéficier. Il dispose pour cela d’un délai d’un an à compter du >>> décès (C. civ. art. 765-1), ce qui correspond à la durée pendant laquelle il bénéficie du droit temporaire.

Les héritiers ne peuvent pas imposer au conjoint de prendre parti. Le conjoint choisit le moment où il exprime sa volonté, pourvu que ce soit pendant le délai d’un an.

Cette manifestation de volonté n’est soumise à aucun formalisme particulier. Elle peut donc être tacite et résulter d’un faisceau d’éléments démontrant la volonté du conjoint de conserver le logement (pour une illustration, Cass. 1re civ. 13-2-2019 n° 18-10.171 FS-PB : BPAT 2/19 inf. 47). Néanmoins, un écrit est bien sûr recommandé.

Contenu du droit viager

Le droit viager est proche du droit d’usage et d’habitation dont il emprunte en partie le régime, l’article 764, alinéa 3 renvoyant aux articles 627, 631, 634 et 635 du Code civil. En application de ces textes, le conjoint doit exercer ses droits raisonnablement (C. civ. art. 627 modifié par la loi 2014-873 du 4-8-2014) ; il ne peut ni céder ni louer son droit (C. civ. art. 631 et 634) ; et il est tenu des réparations d’entretien et du paiement des contributions comme un usufruitier, et ne contribue qu’au prorata s’il n’occupe qu’une partie du logement (C. civ. art. 635).

Cependant, le conjoint est dans une position plus favorable qu’un usager de droit commun, puisqu’il n’a pas à fournir caution et qu’il n’est tenu de dresser inventaire des meubles et état de l’immeuble soumis à ses droits viagers que si les héritiers l’exigent (C. civ. art. 764, al. 4).

Surtout, si le logement n’est plus adapté à ses besoins, il peut le donner en location (à usage autre que commercial ou rural) afin de « dégager les ressources nécessaires à de nouvelles conditions d’hébergement » (C. civ. art. 764, al. 5). Ce sera naturellement le cas si l’état de santé du conjoint l’oblige à déménager.

Mais l’état de besoin est, à notre avis, largement entendu : le conjoint est libre de décider si son logement est ou non encore adapté à ses besoins (pour se rapprocher de ses enfants, revenir dans sa région d’origine, prendre un logement plus petit, s’installer en maison de retraite, etc.), sans que les autres héritiers puissent contester sa décision. Que le logement dépende en tout ou partie de la succession ou qu’il soit assuré au moyen d’un bail, le conjoint survivant bénéficie d’un droit d’usage viager sur le mobilier le garnissant, droit dont l’assiette recouvre celle prévue en matière de droit temporaire. Lorsque le logement était loué, le droit viager du conjoint est réduit à ce seul droit d’usage sur le mobilier (C. civ. art. 765-2).

Conversion du droit viager en rente viagère ou en capital

Le conjoint et ses cohéritiers peuvent, par convention, convertir le droit d’usage et d’habitation en une rente viagère ou en capital (C. civ. art. 766). La conversion suppose un accord entre les parties et ne peut donc pas être imposée au conjoint. Si, parmi les héritiers, il y a des mineurs ou des majeurs protégés, il faudra l’autorisation du juge (juge des contentieux de la protection exerçant les fonctions de juge des tutelles pour les majeurs protégés, juge aux affaires familiales pour les mineurs).

Pour effectuer la conversion, il est nécessaire d’évaluer la valeur du droit d’usage et d’habitation. Il est possible de retenir une valorisation économique, la valeur fiscale des droits d’usage et d’habitation fixée par l’article 762 bis du CGI ne s’imposant que pour la liquidation des droits de succession.

Droit viager au logement et attribution préférentielle

Si un héritier autre que le conjoint se voit attribuer le logement, le conjoint qui aura demandé à bénéficier de ses droits viagers pourra rester dans les lieux. En effet, les droits résultant de l’attribution préférentielle du logement ne préjudicient pas aux droits viagers d’habitation et d’usage que le conjoint peut exercer (C. civ. art. 831-3).

Imputation de la valeur des droits viagers du conjoint

La valeur des droits d’habitation et d’usage s’impute sur celle des droits successoraux recueillis par le conjoint (C. civ. art. 765, al. 1). Ce principe est facile à appliquer lorsque, en présence uniquement d’enfants communs, le conjoint opte pour l’usufruit universel : les droits viagers sont alors absorbés par l’usufruit. La combinaison par imputation avec une quote-part en toute propriété (un quart, une demie ou trois quarts) est plus délicate. La loi dispose que si la valeur des droits d’usage et d’habitation excède celle de la quote-part en propriété, le conjoint survivant ne doit aucune indemnité ou récompense à la succession, les droits viagers d’usage et d’habitation lui restant acquis gratuitement. Si au contraire la valeur des droits d’usage et d’habitation est inférieure à sa vocation successorale en pleine propriété, le conjoint peut - c’est une faculté - réclamer le complément sur les biens existants (C. civ. art. 765, al. 2). La principale difficulté consiste à évaluer le droit d’usage et d’habitation pour le comparer aux droits en pleine propriété résultant de la vocation légale. La loi ne propose aucune méthode d’évaluation économique, mais la Cour de cassation suggérait, en matière d’imputation des libéralités en propriété sur l’usufruit légal du conjoint avant la loi du 3 décembre 2001, d’utiliser la méthode d’actualisation des flux futurs. Cette méthode, qui prend notamment en considération l’espérance de vie de l’usufruitier et la valeur locative du bien démembré, peut être retenue ici, si ce n’est que l’on cherche à évaluer un droit d’habitation dont la valeur est inférieure à celle d’un usufruit. À défaut de relation fixe entre ces deux droits réels, on peut par simplification retenir, comme le suggère le barème fiscal, que le droit d’usage et d’habitation équivaut à 60 % de l’usufruit. En tout état de cause, l’absence de barème légal impose au conjoint et à ses cohéritiers de s’entendre, faute de quoi le juge devra être saisi pour procéder à l’évaluation.

Traitement fiscal des droits viagers d’usage et d’habitation

Droits de succession

La valeur fiscale du droit viager est forfaitairement fixée à 60 % de celle de l’usufruit viager (CGI art. 762 bis), elle-même fixée par le barème prévu à l’article 669 du CGI.

Le conjoint survivant étant exonéré de droits de succession (CGI art. 796-0 bis), l’évaluation des droits viagers n’a d’incidence que lorsque leur valeur fiscale excède celle des droits successoraux du conjoint.

Car alors, les droits de succession dus par les autres héritiers sont calculés sur la part qu’ils recueillent effectivement, c’est-à-dire déduction faite du droit viager. Pour l’application du barème, l’administration retient l’âge du conjoint survivant au terme de l’exercice du droit temporaire au logement, soit un an après le décès (BOI-ENR-DMTG-10-40-10-50, n° 90), solution de nature à pénaliser les cohéritiers du conjoint.

La déclaration de succession – à déposer en principe dans les six mois du décès – peut être souscrite avant que le conjoint – qui a un an pour faire connaître son intention de demander ou non le bénéfice de ses droits viagers – ait exercé son option. Pour régler ce problème de compatibilité des délais civils et fiscaux, l’administration applique les règles suivantes.

Si le conjoint a exercé son option avant le dépôt de la déclaration de succession, la liquidation des droits en tient naturellement compte.

Dans le cas contraire, l’administration considère que le conjoint a renoncé au droit viager (en reprenant l’exemple précédent, l’enfant serait taxable sur 300 000 €, et non sur 280 000 €). Si par la suite (et en tout état de cause avant l’expiration du délai légal d’un an à compter du décès), le conjoint manifeste sa volonté d’en bénéficier, les héritiers doivent souscrire une déclaration de succession complémentaire dans les six mois de cette décision. La différence de droits ainsi déterminée est restituée sur réclamation à effectuer au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant celle au cours de laquelle le conjoint s’est prononcé en faveur du droit viager (ancienne inst. 7 G-1-03 n° 15, dont les dispositions n’ont pas été reprises au Bofip mais qui nous semble toujours d’actualité).

Les héritiers qui recueillent l’immeuble grevé des droits viagers d’habitation et d’usage du conjoint peuvent bénéficier sur option du paiement différé des droits de succession, à hauteur de la fraction des droits correspondant à la valeur imposable de l’immeuble, dans les mêmes conditions que les nus-propriétaires.

En cas de conversion du droit viager en rente ou en capital, l’administration estime que le calcul des droits de succession n’est pas remis en cause (BOI-ENR-DMTG-10-50-10 n° 180). Si la conversion est opérée après le dépôt de la déclaration de succession, aucune déclaration complémentaire n’est donc à effectuer.

L’acte de conversion est soumis au droit fixe des actes innomés, soit 125 €.

Si le paiement différé avait été obtenu, les héritiers ont six mois à compter de la conversion pour s’acquitter des droits encore en suspens (BOI-ENR-DG-50-20-20, n° 135).

 

Impôt sur la fortune immobilière 

Le conjoint titulaire d’un droit viager d’habitation est imposé à l’IFI sur la valeur du logement en pleine propriété, après application de l’abattement de 30 % tant que le logement constitue sa résidence principale.

 

Réussir ses investissements dans l’immobilier locatif

Les éditions Francis Lefebvre publient le 17 juin le dossier pratique Thèmexpress Duflot-Pinel-Denormandie. A jour au 27 avril, ce dossier pratique présente, de façon exhaustive, la réduction d’impôt sur le revenu dont peuvent bénéficier les particuliers qui réalisent des investissements locatifs dans le secteur intermédiaire depuis 2013. Il passe en revue l’ensemble des conditions d’application du régime, aussi bien pour les investissements en métropole qu’outre-mer. Il contient tous les textes réglementaires d’application, ainsi que les commentaires de l’administration sur le sujet.

Duflot/Pinel/Denormandie, rédaction des éditions Francis Lefebvre, collection Dossier pratique, 231 pages. Un livre à retrouver sur le site Internet lalibrairiedupatrimoine.com, au prix de 69 €.

  • Mise à jour le : 24/06/2020

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