Société civile : vous posez-vous les bonnes questions ?

Par : edicom

Analyse par Stéphane Pilleyre (FAC Jacques Duhem)

Voilà une analyse consacrée aux questions à se poser lors de la rédaction de statuts ou la lecture critique de dispositions statutaires existantes. Pour mémoire, les règles statutaires des sociétés civiles sont supplétives. A défaut de précision, c’est le code civil qui s’applique.

Bien évidemment, pourquoi aller modifier les règles prévues par la loi si l’on ne voit pas les conséquences qu’elles peuvent avoir à l’avenir ? Les solutions rencontrées en pratique, souvent standardisées n’étant pas satisfaisantes.

La société civile créée avec des deniers communs

La situation est des plus fréquentes, un couple marié sans contrat de mariage crée une société civile, le capital social est donc constitué avec des deniers communs…

Article 1424 du Code civil

Le code civil dispose dans son article 1424 : « Les époux ne peuvent, l’un sans l’autre, aliéner ou grever de droits réels les immeubles, fonds de commerce et exploitations dépendant de la communauté, non plus que les droits sociaux non négociables et les meubles corporels dont l’aliénation est soumise à publicité. Ils ne peuvent, sans leur conjoint, percevoir les capitaux provenant de telles opérations. De même, ils ne peuvent, l’un sans l’autre, transférer un bien de la communauté dans un patrimoine fiduciaire ».

En d’autres termes, un époux, commun en biens, ne peut apporter à une société civile un bien immobilier commun (ou un droit attaché tel que l’usufruit ou la nue-propriété). Le recours des deux époux est donc indispensable faute de quoi, la nullité peut être demandée.

Fort de ce préambule, interrogeons-nous sur certains points…

Si le capital social de la SCI a été constitué, non pas par l’apport d’un bien immobilier, mais un apport en numéraire, l’intervention du conjoint est-elle nécessaire ?

Nous l’avons vu, l’apport d’un bien immobilier requiert le recours du conjoint commun en bien. Mais lorsque l’apport est réalisé au moyen de denier, qu’en est-il ?

- L’intervention du conjoint n’est pas nécessaire ?

- L’intervention du conjoint se limite à une simple information ?

- L’intervention du conjoint implique la manifestation de son accord ?

Lorsque l’apport porte sur des deniers communs, le conjoint uniquement doit être informé. Cela signifie donc que le conjoint doit signer les statuts afin de prouver qu’il a été informé de cet apport.

En effet, en application de l’article 1832-2 du Code civil : « Un époux ne peut, sous la sanction prévue à l’article 1427, employer des biens communs pour faire un apport à une société ou acquérir des parts sociales non négociables sans que son conjoint en ait été averti et sans qu’il en soit justifié dans l’acte. »

Comment réagir lorsque nous sommes confrontés à des statuts d’une société civile manifestement constituée avec des fonds communs, mais dans lesquels l’intervention du conjoint est absente ?

La Cour de cassation a tranché la question de la prescription relative à la nullité de l’apport réalisé sans avertir le conjoint commun en bien.

La réponse a été donnée par un arrêt de mars 2011.

Jusqu’à quand le conjoint de l’époux apporteur peut-il revendiquer la qualité d’associé s’il n’y a pas refusé de manière définitive par écrit ?

Nous sommes ici dans l’hypothèse où le conjoint est intervenu à la création de la société civile. Seulement, son intervention s’est limitée à la signature des statuts (moyen permettant d’attester son consentement).

La qualité d’associé est reconnue uniquement à l’associé apporteur en application du second alinéa de l’article 1832-2 du Code civil : « La qualité d’associé est reconnue à celui des époux qui fait l’apport ou réalise l’acquisition ».

De cette situation, deux questions peuvent naître :

1. Le conjoint peut-il revendiquer la qualité d’associé ?

2. S’il n’y a pas renoncé expressément, jusqu’à quand le conjoint de l’époux apporteur peut revendiquer la qualité d’associé s’il n’y a pas refusé de manière définitive par écrit ?

La réponse à la première question est positive en application du troisième alinéa de l’article 1832-2 du Code civil qui dispose : « La qualité d’associé est également reconnue, pour la moitié des parts souscrites ou acquises, au conjoint qui a notifié à la société son intention d’être personnellement associé. Lorsqu’il notifie son intention lors de l’apport ou de l’acquisition, l’acceptation ou l’agrément des associés vaut pour les deux époux. Si cette notification est postérieure à l’apport ou à l’acquisition, les clauses d’agrément prévues à cet effet par les statuts sont opposables au conjoint ; lors de la délibération sur l’agrément, l’époux associé ne participe pas au vote et ses parts ne sont pas prises en compte pour le calcul du quorum et de la majorité. »

Le conjoint peut donc prendre la qualité d’associé lors de l’apport des fonds communs (ou de l’acquisition des parts sociales avec des deniers communs). Toutefois, s’il a renoncé expressément à la qualité d’associé, l’agrément sera nécessaire pour l’obtenir en cours de vie de la société.

La seconde question paraît alors cohérente, si les statuts ne traitent pas de la volonté du conjoint de « l’apporteur » quant à la qualité d’associé, ce dernier peut-il la revendiquer à tout moment ?

Cette situation peut donc devenir un cauchemar lorsque le couple est sur le point de se séparer. En effet, jusqu’alors, l’amour aidant, l’époux non associé laissait son conjoint gérer librement la société civile. Les parts étant communes, les revenus aussi, tout allait bien dans le meilleur des mondes. Dans le cadre d’une rupture, l’époux non associé pourrait revoir ses intentions et revendiquer la qualité d’associé qu’il n’a pas.

Certains pourraient s’interroger à juste titre sur les raisons d’une telle requête. La valeur des parts sociales augmente la masse commune, les revenus profitent également à la communauté. Pourquoi donc demander la qualité d’associé pour quelque chose dont on est déjà propriétaire pour moitié, du moins en valeur ?

Probablement que la réponse n’est pas économique mais juridique. En effet, en prenant la qualité d’associé, le conjoint devient une pièce maîtresse dans les décisions collégiales. Il est fort probable qu’en prenant le titre d’associé sur la moitié des titres communs, le conjoint dispose d’un droit de regard dans la société, voire d’un droit de veto quant aux décisions qui ne lui conviendraient pas. Il s’agirait d’un pouvoir suffisamment important dans la négociation des conditions de la rupture (prestation compensatoire, partage, garde des enfants…)

La Cour de cassation a été amenée à se prononcer sur le délai maximum ouvert à l’époux non associé pour revendiquer son droit. C’est un arrêt de mai 2013 qui est venu statuer sur ce point…

Quels sont les droits de l’époux commun en bien n’ayant pas la qualité d’associé ?

Nous l’avons vu, il est nécessaire que le conjoint prenne position quant à la prise ou non de la qualité d’associé de la société civile.

En supposant que l’un des époux n’ait pas pris la qualité d’associé (soit par absence de prise de position, soit par renonciation expresse), quels sont ses droits ?

1. Peut-il participer au vote en assemblée générale ?

2. Peut-il demander le remboursement d’un compte courant d’associé alimenté par des fonds communs ?

La réponse à la première question nous a été donnée par un arrêt de juillet 2012 rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation. Elle paraît évidente puisque la Cour suprême a refusé à l’époux non associé le droit de vote aux assemblées générales. Le débat est clos sur ce point, de deux choses l’une, soit l’époux prend la qualité d’associé et participe aux assemblées générales, soit il y renonce expressément et en assume les conséquences.

S’agissant de la seconde question, la réponse est moins évidente. En effet, il s’agit de fonds communs ayant servi à constituer un compte courant d’associé (CCA). Si la société civile dispose d’une trésorerie suffisante pour procéder au remboursement du CCA, pourquoi laisser ces créances communes immobilisées au bilan social ? Face à ces liquidités disponibles à tout moment, l’époux non associé pourrait envisager un usage différent à des fins de consommation immédiate, de thésaurisation ou de capitalisation… Certes, mais cet époux, non associé rappelons-le, peut-il demander le remboursement du CCA ?

Ici encore la Cour de cassation a statué dans un arrêt de février 2011.

Quels sont les biens engagés par les associés en cas de défaillance de la société civile vis à vis de ses créanciers, si les parts sont communes ?

La responsabilité des associés d’une société civile est indéfinie mais non solidaire. Cela signifie que l’associé détenant un tiers du capital engage ses biens à concurrence d’un tiers de la dette de la société civile (une fois les recours contre la société purgés).

La société civile a donc des conséquences moindres que la SNC (où la responsabilité est solidaire et indéfinie) mais plus importante que la SARL/SA/SAS (où la responsabilité se limite aux apports).

Dans l’hypothèse où une société civile serait créée avec des derniers communs, quels sont les biens engagés en cas de défaillance de la société ? S’agit-il des biens propres de l’époux « apporteur », des biens communs, voire des biens propres du conjoint de « l’apporteur ».

Cette question est d’autant plus important que le conjoint de l’apporteur peut ne pas avoir pris la qualité d’associé et donc ne pas être informé de l’existence de dettes importantes au bilan de la société civile (on voit ici l’une des raisons de prendre la qualité d’associé en cas d’apport de deniers communs lors de la constitution de la société civile.)

Ici encore, la jurisprudence est venue apporter quelques éclaircissements. Il a été demandé à la Cour de cassation si les dispositions de l’article 1415 du Code civil étaient applicables aux dettes sociales. Pour rappel, ledit article dispose : « Chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n’aient été contractés avec le consentement exprès de l’autre conjoint qui, dans ce cas, n’engage pas ses biens propres. »

Etant donné que l’époux de « l’apporteur » n’a pas participé à la société qui a contracté la dette (il n’a pas la qualité d’associé), la responsabilité de celui qui a la qualité des associés se limite-t-elle à ses biens propres ?

La Cour de cassation a statué sur ce point dans plusieurs arrêts notamment en janvier 2006.

La société civile créée avec des deniers propres

Comment les parts d’une société civile peuvent constituer un bien propre ?

La notion de bien propre est une notion réservée aux régimes communautaires. Des parts sociales peuvent-elle être propres dans une régime de communautaire ? La réponse est bien entendu affirmative, le Code civil prévoyant 5 cas de biens propres :

- Les biens propres par nature (article 1404 du Code civil) : cette disposition est à notre sens inapplicable à la société civile car sont propres les indemnités issues d’un préjudice moral ou corporel (sauf à apporter les fonds à la société, mais se pose la question du remploi de l’article 1406).

- Les biens propres par origine (article 1405 du Code civil) : cette situation est beaucoup plus fréquente, en effet, les parts sociales créées ou acquises avant le mariage sont propres, tout comme les parts reçues par donation, succession ou legs.

- Les biens propres par emploi/remploi (article 1406 al. 2 du Code civil) : nous sommes ici sur le contentieux le plus nourri car pour conserver le caractère propre aux parts sociales suite à un apport de fonds propres, la clause de remploi est de rigueur avec sa double stipulation (origine des derniers et volonté de conserver le caractère propre). A défaut de clause de remploi correctement rédigée, les parts sont communes (l’époux de l’apporteur peut revendiquer la qualité d’associé, mais un récompense pourra être demandée lors de la dissolution du régime matrimonial)

- Les biens propres reçus en échange (article 1407 du Code civil), le cas est rare mais ne doit pas être mis au rang des oubliettes…

- Les biens propres acquis dans le cadre d’une licitation (article 1408 du Code civil), cette situation est également rare, mais s’il l’un des époux reçoit par succession une quote-part indivise de parts sociales et rachète à ses co-indivisaires leur quote-part indivise, les titres de la société civile constituent des propres bien que la communauté ait financé la licitation.

Il convient donc d’être prudent à la lecture de statuts de société civile. En effet, les parts peuvent constituer des biens propres alors même qu’aucune clause de remploi n’apparaît dans lesdits statuts.

Les revenus perçus par une société civile dont les parts sont propres à un époux entrent-ils dans la communauté ?

L’article 1401 du Code civil dispose : « La communauté se compose activement des acquêts faits par les époux ensemble ou séparément durant le mariage, et provenant tant de leur industrie personnelle que des économies faites sur les fruits et revenus de leurs biens propres. »

Ainsi, les acquêts faits avec les revenus de biens propres font partie intégrante de la communauté.

Qu’en est-il des revenus encaissés par une société civile dont les parts constituent un propre pour l’époux associé ?

Le revenu au sens civil est-il le revenu encaissé par la société civile (bien propre) ou le revenu encaissé par l’époux (le dividende distribué). La Cour de cassation a statué sur ce point dans un arrêt de décembre 2006.

Conclusion

La gestion des parts d’une société civile dans un régime de communauté implique d’être vigilant notamment à la rédaction ou relecture des statuts. D’autres difficultés peuvent apparaître en cas de démembrement des titres sociaux. Il n’est pas rare que les statuts abordent cette situation de manière approfondie, d’où une jurisprudence nourrie sur le sujet.

Les réflexes sont simples, les solutions aussi… Il est juste nécessaire d’anticiper les conflits par une rédaction ou un aménagement des statuts adapté à la volonté des parties.

La mise en place d’une société civile nécessite donc un travail d’audit conséquent. Les objectifs des clients doivent être clairement identifiés… Toute formule standardisée est donc à bannir.

 

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  • Mise à jour le : 23/11/2017

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