Philippe Feuille : « Ne pas mettre le système en péril »

Par : Benoît Descamps

Face au mouvement de consolidation du marché des cabinets de conseil en gestion de patrimoine et l’arrivée massive de fonds de capital-investissement, Philippe Feuille, président de La Compagnie des CGP, s’inquiète des conséquences à moyen terme pour les professionnels du secteur et les clients finaux.

Profession CGP : En tant que président d’association professionnelle, quel regard portez-vous sur l’accélération du mouvement de consolidation sur le marché des cabinets de conseils en gestion de patrimoine ?

Philippe Feuille : En tant que conseil en gestion de patrimoine libéral, notre cœur de métier est d’être proche de nos clients, de les accompagner et de les soutenir au quotidien dans leurs projets de vie. En mettant en place de telles structures, on industrialise les démarches et on ôte le côté humain du CGP qui fait sa force. Je crains que ce mouvement de concentration entraîne un nivellement par le bas en termes de suivi et de qualité du conseil apporté au client. On peut comparer ces nouvelles structures à des banques privées, dont on sait très bien qu’une part de la clientèle a été et est toujours délaissée. En effet, la volumétrie suppose des arbitrages dans la gestion et l’attention donnée aux clients. Alors que nos autorités de tutelle nous imposent toujours plus d’obligations en matière de suivi des épargnants et de leurs investissements et de pédagogie, comment s’assurer que, dans un grand groupe, tous les clients bénéficient du même niveau de service ? Espérons que les moyens humains seront mis en place afin que ces clients ne se détournent pas de ces cabinets pour revenir vers les banques !

La plus grosse entreprise de France est celle que constituent les professionnels libéraux et les TPE-PME. Or si on industrialise une chaîne économique, elle sera pénalisée dans son ensemble. La pression sur les marges sera compensée par le volume, et c’est la qualité délivrée au client final qui en subit les conséquences. Bien sûr, ces entreprises disposent de juristes, d’experts de la réglementation, et sont conseillées par de grands cabinets d’avocats, mais elles ne sont plus comparables avec nos cabinets qui font du cousu main.

Si je peux comprendre que la réglementation, qui ne cesse de nous oppresser, nous impose de nous structurer, attention à ne pas mettre le système en péril à moyen terme.

Ce mouvement de consolidation est soutenu par l’arrivée de fonds d’investissement, dont on connaît les attentes à court et moyen terme…

Un retour sur investissement à deux chiffres chaque année. Cette arrivée massive de fonds de capital-investissement est inquiétante, et en faire entrer à son capital va à l’encontre du choix initial qu’ont fait les CGP de travailler de façon indépendante. Là, il est clair que les conditions d’exercice ne sont plus les mêmes. D’un point de vue sociétal, on peut s’inquiéter pour nos jeunes. Ce mouvement, qui n’est pas propre à la gestion de patrimoine, contredit ce que prônent les pouvoirs publics qui mettent en avant les vertus du développement entrepreneurial des petites structures. Face à ces sociétés toujours plus importantes, leur avenir ne pourrait se résumer qu’à intégrer ce système qui perd toute humanité. A vouloir faire de l’argent à court terme, il ne faudrait pas hypothéquer l’avenir des générations futures dont l’installation sera moins aisée face à des mastodontes. Mais je reste convaincu que ce n’est pas ce que nos clients attendent. Ils cherchent avant tout des personnes à leur écoute, répondant à leurs besoins et les accompagnant dans la durée avec un conseil de qualité, ce qui risque de ne plus être le cas pour les détenteurs de petits ou moyens patrimoines en mettant ainsi en péril la protection de ces épargnants qui n’auront plus accès au conseil.

On peut considérer que l’appétit des fonds d’investissement pour les cabinets de CGP est une preuve que la profession se porte bien.

Les CGP sont en bonne forme. Leur proximité et leur capacité à intégrer de nouveaux outils digitaux lors des confinements leur ont permis de gagner des parts de marché.

Ces poids lourds du secteur ne peuvent-ils pas être considérés comme des locomotives permettant de gagner en notoriété ?

Cela peut avoir un certain impact. Notre profession reste peu lisible car elle n’a pas de statut propre, mais elle répond au cumul de différents agréments. Encore une fois, il convient que ça ne desserve pas les intérêts des clients finaux.

S’agissant des fournisseurs n’est-il pas à craindre que l’accès à l’offre se restreigne pour les CGP ?

Les suppressions de code ont déjà commencé ! Les fournisseurs ne doivent pas oublier qu’ils ont été heureux de trouver les CGP et leurs clients pour souscrire à leurs produits. Ils se doivent de sélectionner un nombre restreint de fournisseurs qui jouent pleinement leur rôle de partenaire. Mais chaque corps d’activité va être touché, et les fournisseurs pourraient aussi pâtir de ce mouvement de concentration. Le rapport de force va changer, eu égard à leur taille, et aussi par le rachat de sociétés de gestion de portefeuille par ces entreprises de conseil en gestion de patrimoine. Face à ce mouvement, les sociétés de gestion se rapprochent. La compression des marges qui va se poursuivre sera-t-elle à l’avantage du client ou du fonds d’investissement ? Ce ne sont pas les clients qui cherchent à réduire les marges. Dès lors que le CGP fait preuve de proximité, de pédagogie et qu’il délivre un conseil de qualité, le client comprend très bien qu’il existe des compétences humaines à rémunérer et des systèmes informatiques qui ont un coût.

Vous évoquiez les difficultés que pourraient rencontrer les futures générations de CGP ; or les créations de cabinets sont nombreuses…

Tout à fait, c’est une preuve de la vitalité de la profession. Nous le constatons à La Compagnie des CGP où beaucoup de jeunes nous rejoignent. J’interviens dans différents masters pour prôner les vertus de notre belle profession. Il ne faudrait pas les décourager face aux difficultés qu’ils auront à rencontrer ! Il n’en reste pas moins que les barrières à l’entrée s’élèvent encore.

Comment dépasser la pression de la course à la taille ?

La taille peut être un moyen d’absorber des coûts fixes importants. Mais ce n’est pas l’unique solution. A La Compagnie des CGP, nous favorisons les synergies inter-adhérents et inter-statuts. Nos adhérents, tout comme leurs clients, ont tout à y gagner. Le rapprochement de compétences est l’essence même du métier que je définis comme un catalyseur interprofessionnel. Les CGP peuvent mettre en place des sociétés de moyens pour mutualiser certains coûts, notamment le back-office ou l’acquisition de logiciels. A eux de bien réfléchir à une structuration de leur cabinet pour gagner en efficacité. Les moyens sont à leur disposition, il leur revient de définir les investissements prioritaires. Notre profession a accès à des outils puissants, permettant d’être en conformité avec la réglementation pour ensuite se concentrer sur le conseil délivré au client final et sur leur développement commercial.

 

En ordre de marche pour la réforme du courtage

La Fédération La Compagnie des CGP (quatre-cent-vingt membres personnes morales, plus de six cents personnes physiques) regroupe quatre associations dont les membres sont adhérents à une ou plusieurs associations qui sont La Compagnie CIF, La Compagnie IAS, La Compagnie IOBSP et La Compagnie Immo. En effet, anticipant la mise en place de la corégulation avec l’ACPR pour l’intermédiation en assurance et l’IOBSP, la structure s’est réorganisée afin d’accueillir les professionnels soumis à ces différents statuts. La Compagnie IAS et La Compagnie IOBSP sont d’ores et déjà en ordre de marché pour accueillir de nouveaux membres dès maintenant sans attendre le 1er avril 2022. « Nous allons nous servir de notre expérience d’association de CIF pour accueillir nos nouveaux membres. Nous les invitons d’ailleurs à nous rejoindre dès aujourd’hui pour éviter le goulet d’étranglement des adhésions de dernière minute et avoir un accompagnement personnalisé ». La fédération complète ses services avec sa société de formation LCGP Formation, créée en 2017, qui propose pas moins de huit cent cinquante formations en e-learning, des séminaires en présentiel et des formations Expert.

  • Mise à jour le : 26/10/2021

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