L’investissement forestier à travers les GFI

Par : edicom

Par Silvestre Tandeau de Marsac, avocat associé, ancien membre du Conseil de l’ordre, FTMS Avocats

L’investissement dans la forêt attire de plus en plus les épargnants à la recherche de produits de diversification. L’acquisition d’une forêt en direct, réservée à un public averti, se trouve concurrencée par la souscription de parts de groupements forestiers. Ce véhicule permet de conserver le cadre fiscal attractif, d’inciter des investisseurs à se regrouper et à mutualiser les risques à travers un portefeuille constitué de massifs forestiers distincts.

Si le groupement forestier apparaît tout à fait adapté pour gérer de petites unités forestières ou des forêts appartenant aux membres d’une même famille, cette structure présentait l’inconvénient de ne pas pouvoir recourir à l’offre au public.

C’est pourquoi la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt du 13 octobre 2014 a prévu la création d’un nouveau véhicule, le GFI (groupement forestier d’investissement), société civile autorisée à recourir à l’offre au public. La volonté du législateur a été d’inciter l’investissement dans la forêt et la gestion forestière qui devient aujourd’hui une priorité.

On rappellera quelques données relatives à la forêt en France, avant de se pencher sur les caractéristiques du groupement forestier d’investissement.

La forêt française et l’adaptation récente de son cadre juridique

La surface forestière en France a doublé depuis 1827. Le dernier recensement de l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN) relève dix-sept millions d’hectares en 2020.

Selon cet organisme dans sa publication La propriété forestière, la forêt privée représente aujourd’hui les trois quarts de la forêt française, avec 12,8 millions d’hectares. Elle appartient à 3,5 millions de propriétaires forestiers privés, dont 96 % de personnes physiques(1). Et selon le portail des Bourses foncières forestières, les trois quarts des forestiers privés ont hérité de leur forêt, seul un sur quatre l’a achetée ou plantée.

Historiquement, deux types de supports coexistent en matière d’investissement forestier : la société d’épargne forestière (SEF), dont le succès escompté lors de sa création n’a pas été au rendez-vous, et le groupement forestier, par ailleurs, qui reste le support le plus utilisé. On distingue principalement deux types de groupements forestiers : les groupements forestiers familiaux et les groupements forestiers regroupant des investisseurs voulant posséder une unité de bois et de forêt, sans qu’il y ait nécessairement de lien entre eux.

 

Code de bonne conduite

Désireuse de faire de la forêt une classe d’actifs à part entière, l’Association des sociétés, groupements fonciers et forestiers (Asffor) a publié, en 2011, un code de bonne conduite pour l’investissement forestier qui a été approuvé par l’Autorité des marchés financiers (AMF).

Pour l’essentiel, ce code a pour ambition de faire respecter les bonnes pratiques et les usages qui s’imposent dans le cadre du conseil en investissement financier. Il recommande, notamment aux professionnels de l’investissement forestier de se comporter loyalement, d’agir au mieux des intérêts des investisseurs et de mettre à leur disposition l’ensemble de leurs compétences en matière d’investissement ; et de s’enquérir de la situation des investisseurs et leur proposer des solutions d’investissement adaptées.

 

Directive AIFM

La transposition de la directive n° 2011/61/UE du 8 juin 2011 sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs (directive AIFM) a provoqué une accélération dans la transformation de l’investissement.

En effet, avec l’introduction du concept de fonds d’investissement alternatifs, la directive AIFM a vocation à englober les groupements forestiers non familiaux qui répondent aux critères légaux de définition des fonds d’investissement alternatifs.

Ces derniers doivent alors être gérés par des gestionnaires tenus de respecter les obligations réglementaires imposées aux gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs et, notamment, l’obligation d’obtenir un agrément, de respecter des règles de bonne conduite et de compte-rendu auprès des autorités de surveillance (article 4.1 b de la directive AIFM).

La directive AIFM définit les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs (FIA) comme les personnes morales dont l’activité habituelle est la gestion d’un ou plusieurs de ces fonds.

Afin de déterminer si les règles relatives aux gestionnaires de FIA sont applicables à un groupement forestier, la nature de celui-ci doit être appréciée à l’aune des critères de définitions de ce type de fonds.

L’article 4 § 1 a) de la directive AIFM, transposé à l’article L. 214-24 du Code monétaire et financier, définit les FIA comme des « organismes de placement collectif, y compris leurs compartiments d’investissement, qui lèvent des capitaux auprès d’un certain nombre d’investisseurs en vue de les investir, conformément à une politique d’investissement définie, dans l’intérêt de ces investisseurs ; et ne sont pas soumis à agrément au titre de l’article 5 de la directive 2009/65/CE ».

L’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) a émis des orientations(2) afin de garantir une application commune, uniforme et cohérente des différentes notions qui définissent les FIA que sont les organismes de placement collectif, la levée de capitaux, le nombre d’investisseurs et la politique d’investissement.

L’AMF a repris l’ensemble de ces orientations dans une position n° 2013-16 publiée le 13 octobre 2013.

La naissance du groupement forestier d’investissement

C’est à la faveur de la transposition de ces règles relatives à la gestion des fonds d’investissement alternatifs que le GFI a pu voir le jour, à la suite d’un long processus mettant en jeu divers acteurs et qui s’est déroulé en plusieurs étapes.

Première étape : appréciation des opportunités et contraintes liées à la transposition de la directive sur les gestionnaires de FIA

Au vu des critères dégagés par l’article 4 § 1 a) de la directive AIFM transposée à l’article L. 214-24 du Code monétaire et financier (CMF), sont considérés comme des fonds d’investissement alternatifs les entités qui ne sont pas des organismes de placement collectif en valeurs mobilières ; lèvent des capitaux ; auprès d’un certain nombre d’investisseurs ; en vue de les investir conformément à une politique d’investissement définie dans l’intérêt de ces investisseurs.

C’est ainsi que les groupements forestiers non familiaux peuvent être considérés comme des fonds d’investissement alternatifs lorsqu’ils remplissent les quatre critères dégagés ci-dessus.

Dans son Guide à destination des sociétés de gestion d’avril 2013, l’AMF a confirmé qu’une telle qualification pouvait être envisagée pour « un groupement forestier dont l’objet est d’offrir à plusieurs investisseurs par l’intermédiaire d’un réseau de distribution un placement financier ».

La qualification de FIA entraîne des conséquences pour les gestionnaires de groupements forestiers qui doivent dès lors respecter certaines contraintes, notamment être gérés par une société de gestion agréée par l’Autorité des marchés financiers ; et le respect par cette société de gestion d’un minimum de règles en matière de capital social et de fonds propres, ainsi que de reporting.

Toutefois subsistait une difficulté non résolue par la directive AIFM. En effet, malgré les contraintes imposées par cette dernière, le groupement forestier, en tant que FIA, ne pouvait pas bénéficier des avantages offerts par la directive en matière de commercialisation de fonds d’investissement alternatifs. N’étant pas des sociétés civiles autorisées par la loi à recourir à l’offre au public, les groupements forestiers ne pouvaient donc pas solliciter d’investisseurs : en effet, l’article 1841 du Code civil prévoit qu’« Il est interdit aux sociétés n’y ayant pas été autorisées par la loi de procéder à une offre au public des titres financiers ou d’émettre des titres négociables, à peine de nullité des contrats conclus ou des titres émis ». Une modification de la loi s’imposait pour lever cette interdiction.

Deuxième étape : le rôle de l’Asffor pour développer l’investissement forestier

Il fallait faire sauter le verrou de l’interdiction de l’offre au public en tenant compte d’une double contrainte : l’impossibilité de modifier la réglementation applicable aux groupements forestiers familiaux afin de ne pas remettre en cause le dispositif fiscal incitatif ; et la difficulté de modifier le Code monétaire et financier dans lequel la directive AIFM avait déjà été transposée par une ordonnance n° 2013-676 du 25 juillet 2013. C’est dans ces conditions qu’il a été envisagé d’utiliser comme véhicule législatif le projet de loi d’avenir sur l’agriculture, l’alimentation et la forêt, alors en discussion, pour modifier la réglementation relative aux groupements forestiers.

Après de nombreuses réunions et négociations entre l’Asffor, la Direction générale du Trésor et l’AMF, un projet de texte a pu être élaboré, puis transformé en amendement déposé lors de la première lecture du projet de loi d’avenir sur l’agriculture, l’alimentation et la forêt devant le Sénat.

Troisième étape : création d’un nouveau véhicule d’investissement, le GFI

Cet amendement déposé au nom de la Commission des affaires économiques visait à autoriser les groupements forestiers à recourir à l’offre au public, dès lors qu’ils répondent aux exigences de textes issus de la transposition de la directive AIFM et à l’ensemble des dispositions du Code monétaire et financier relatives aux sociétés civiles en placement immobilier (SCPI).

Il est apparu, en effet, que le régime des SCPI, par sa robustesse et sa relative simplicité, pouvait parfaitement être transposé aux groupements forestiers d’investissement. L’amendement a donc ajouté un article au projet de loi d’avenir sur l’agriculture, l’alimentation et la forêt conduisant à la création de l’article L.331-4-1 du Code forestier.

Les caractéristiques du GFI

Le GFI est incontestablement un fonds d’investissement alternatif. En tant que FIA, le GFI est soumis aux règles applicables à ces derniers (article L.214-24 du CMF). Parce que le GFI est un FIA, son gestionnaire doit respecter certaines contraintes propres au gestionnaire de FIA, notamment :

- désigner un dépositaire et le GFI être géré par une société de gestion agréée par l’AMF lorsque la valeur totale des actifs gérée par une même personne morale est supérieure à certains seuils (100 millions d’euros avec effet de levier ou 500 millions d’euros sans effet de levier) ;

- respecter des exigences en termes de valorisation avec la mise en place de procédures appropriées et cohérentes en vue d’une évaluation correcte des actifs ;

- et informer les investisseurs de façon claire, exacte et non trompeuse, et communiquer la documentation légale avant l’investissement.

 

Offre au public

Surtout, un groupement forestier d’investissement pourra recourir à l’offre au public sous réserve de respecter les règles relatives aux sociétés civiles de placement immobilier, d’une part, et les dispositions propres aux groupements forestiers d’autre part.

Le respect des règles applicables aux SCPI comprend, notamment l’obligation pour les associés fondateurs de détenir des parts qui doivent représenter une valeur totale au moins égale au capital social minimal – ces parts sont inaliénables pendant trois ans (article L. 214-86 à L. 214-113 du CMF) ; un capital initial qui doit être intégralement souscrit ; et une garantie bancaire qui doit être approuvée par l’AMF.

Le respect des règles propres aux GFI (article L. 331-4-1 du Code forestier) concerne principalement : un minimum de 15 % du capital, tel que fixé dans les statuts, souscrit par le public dans un délai de deux ans à compter de l’ouverture de la souscription ; l’approbation par l’assemblée générale des associés doit approuver les plans simples de gestion des bois et forêts détenus par le groupement forestier ; et un actif du groupement forestier constitué, d’une part de bois ou forêts et d’autre part de liquidités ou valeurs assimilées.

L’ordonnance n° 2017-1432 du 4 octobre 2017 portant modernisation du cadre juridique de la gestion d’actifs et du financement par la dette (entrée en vigueur le 3 janvier 2018), a rendu fonctionnels les GFI, qualifiés de FIA par objet. Cette ordonnance soumet les groupements forestiers d’investissement aux règles de gouvernance, de sécurité, d’information et de commercialisation applicables aux autres classes d’actifs et en particulier les SCPI. Les GFI figurent dans le même paragraphe du Code monétaire et financier que les SCPI (L. 214-86 à L. 214-133). Les groupements forestiers d’investissement sont considérés comme des instruments financiers (L.214-89 al. 3) et, de ce fait, soumis aux dispositions du Code monétaire et financier traitant du démarchage (L. 341-1 à L. 341-17).

Alors que la responsabilité des associés des SCPI et des sociétés d’épargne forestière peut être engagée en fonction de leur part dans le capital et jusqu’à deux fois le montant de cette part, une dérogation est introduite pour les associés d’un GFI, au second alinéa de l’article L. 214-89 du CMF, de sorte que la responsabilité de chacun des associés d’un GFI ne peut dépasser le montant de sa part dans le capital.

Un décret en Conseil d’Etat, n° 2018-1004 du 19 novembre 2018 portant modernisation du cadre juridique de la gestion d’actifs et du financement de la dette, a ensuite été publié afin de modifier le Code monétaire et financier en y introduisant une série d’articles réglementaires de R. 214-176-1 à R. 214-176-7. Ces articles couvrent de nombreux aspects, tels que l’actif des groupements forestiers d’investissement (R. 214-176-1), la fusion des groupements (R. 214-176-3) ou encore la répartition du patrimoine forestier détenu par un GFI (R. 214-176-7).

Enfin, par une instruction DOC-2019-04, l’AMF a pris en compte la nouvelle définition d’offre au public, notamment pour les sociétés civiles de placement immobilier, les sociétés d’épargne forestière et les groupements forestiers d’investissement. L’Autorité des marchés financiers a apporté des précisions sur les modalités de demande de visa pour l’offre au public des parts de SCPI, de SEF, mais surtout de GFI. Cette instruction ne s’applique pas aux offres de parts qui s’adressent exclusivement à moins de cent-cinquante personnes agissant pour compte propre ou à des investisseurs qualifiés.

Enfin, l’arrêté du 12 février 2019 portant homologation de modifications du règlement général de l’AMF prend acte de l’introduction de la nouvelle définition de l’offre au public pour les SCPI, les SEF et les GFI.

Une gestion durable de la forêt

La création du groupement forestier d’investissement répond à l’impérieuse nécessité de favoriser l’investissement dans la forêt afin de drainer les capitaux nécessaires pour financer une gestion durable de la forêt française avec l’objectif d’approvisionner la filière de transformation du bois.

A partir du moment où les GFI lèvent des capitaux auprès d’investisseurs en ayant recours, le cas échéant, à l’offre au public, ils entrent dans le périmètre réglementaire de la gestion d’actifs tel qu’il a été redéfini par l’ordonnance n° 2013-676 du 25 juillet 2013 transposant la directive AIFM. Il eut été dans ces conditions parfaitement contradictoire de considérer les groupements forestiers ouverts à des investisseurs comme des produits financiers sans leur faire bénéficier de la possibilité de recourir à l’offre au public.

L’introduction du GFI crée un environnement protecteur pour l’investisseur épargnant, tout en permettant de diriger plus efficacement des capitaux vers une forêt détenue sous une forme collective, mais ayant pour vocation de permettre sa gestion d’une façon durable et pérenne.

Le comité spécialisé « gestion durable des forêts », dans son rapport Objectif forêt(3), met en avant l’importance des forêts dans la lutte contre le changement climatique, l’impact qu’aura ce dernier sur leur accroissement et les perturbations subies. Il relève que dans les dix prochaines années, des actions volontaires seront nécessaires pour assurer le renouvellement et l’enrichissement des forêts. Cet effort de renouvellement, chiffré à dix milliards d’euros d’investissements, concernerait 10 % de la forêt métropolitaine. En complément des financements publics, les groupements forestiers d’investissement se révèlent un moyen utile de financer le renouvellement et l’enrichissement des forêts.

Les groupements forestiers d’investissement seraient également un outil efficace pour répondre à la nécessité, d’assurer un équilibre sylvo-cynégénétique ou encore de disponibilité en semences et plants. Le décret du 19 novembre 2018 évoqué précédemment pose des règles en matière de patrimoine forestier détenu par un GFI et prévoit notamment une répartition harmonieuse des classes de composition ou d’âge pour un type d’arbre particulier. La multiplication des groupements forestiers d’investissement dont le nombre augmente régulièrement, tout comme la simplification de leur utilisation, devraient contribuer à la réalisation des objectifs nationaux de renouvellement des forêts, tout en créant une filière forêt-bois dynamique capable d’atteindre les ambitions qu’elle s’est fixées.

Vers la création d’un groupement foncier agricole d’épargnants ?

Le succès du GFI fait des émules. Une proposition de loi vient d’être tout récemment déposée au Sénat par Vanina Paoli-Gagin, sénatrice de l’Aube, pour permettre la création du groupement foncier agricole d’épargnants (GFAE), sur le modèle du GFI. La création de ce nouveau véhicule de portage financier doit permettre de garantir la continuité du foncier agricole et viticole.

En effet, le GFAE permettrait, via l’offre au public de ses parts, de mobiliser l’épargne des Français pour racheter des parcelles de foncier agricole et viticole qui risqueraient, autrement, de ne pas être transmises au moment du départ en retraite de l’exploitant.

Le GFAE faciliterait également l’installation de nouveaux exploitants en leur évitant l’investissement initial lié à l’acquisition du foncier.

1. Etude de 2013 du Centre régional de la propriété forestière de Bretagne ; plus récemment, v. Les chiffres clés de la forêt privée, Centre national de la propriété forestière, 2021.

2. ESMA, Orientations relatives aux notions essentielles contenues dans la directive sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs, 13 août 2013, ESMA/2013/611.

3. Objectif forêt, Rapport du comité spécialisé « gestion durable des forêts » en vue de l’élaboration du plan national de renouvellement forestier, 26 juillet 2023.

  • Mise à jour le : 24/10/2023

Vos réactions