Durabilité et immobilier : l’impossible alliance ?

Par : edicom

Par Claire Flurin, directrice R&D et innovation du groupe Keys Asset Management

Claire Flurin, directrice R&D et innovation du groupe Keys Asset Management, décrypte quatre idées reçues sur le marché de l’immobilier.

Depuis plusieurs années, le secteur de l’immobilier fait face à de nombreuses transformations. Celles-ci se sont progressivement imposées dans notre réalité quotidienne. Le secteur immobilier a souvent été présenté, à juste titre, comme réfractaire au changement ; mais la donne a changé. Il nous appartient désormais de nous doter des outils technologiques, digitaux, financiers et urbanistiques à notre disposition pour anticiper les évolutions à venir et répondre de manière satisfaisante à la révolution des nouveaux usages, sur fond d’urgence environnementale et de métropolisation galopante.

L’urbanisation rapide du monde nous invite à questionner nos modes de production de la ville. Selon l’Onu, 55 % de la population mondiale vit aujourd’hui en ville et nous serons 68 % de citadins en 2050. D’ici à 2030, le monde comptera quarante-trois mégalopoles, chacune abritant plus de 10 millions d’habitants. Les villes et métropoles dans lesquelles nous évoluons vont devoir faire face à des défis d’adaptation importants en matière de logement bien sûr, mais aussi d’infrastructure de transports, énergie, santé, éducation. Quels emplois pour ces populations entrantes ? Quelles politiques de développement urbain pour estomper les contrastes avec les zones moins urbanisés mis en valeur par la crise des gilets jaunes en France ?

L’immobilier est au centre des questions de développement social et économique. Et en matière environnementale, l’industrie du bâtiment pèse lourd. Les bâtiments sont à l’origine d’approximativement un tiers des émissions mondiales de gaz à effet de serre, et représentent 40 % de l’énergie consommée dans le monde. Il faudra donc réduire d’au moins 30 % l’intensité énergétique moyenne mondiale des bâtiments par unité de surface de plancher pour parvenir à rester sous le seuil de réchauffement critique de deux degrés Celsius.

Ban Ki-moon s’est à de nombreuses reprises exprimé sur l’impact des activités immobilières sur le devenir de notre planète. A la lumière des dix-sept objectifs de développement durable fixés par l’Onu – notamment le neuvième centré sur l’industrie, l’innovation et les infrastructures, et le onzième, relatif aux villes et communautés durables –, l’ancien secrétaire général des Nations unies invite les acteurs du secteur à une prise de conscience et à une mobilisation générale afin de contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique.

Les enjeux sont majeurs, et nous entendons bien participer activement à cette évolution aux côtés de tous les acteurs de la ville et de l’immobilier concernés. Le monde se refaçonne ? Il convient de refaçonner nos investissements ! De leur donner plus de sens, de savoir associer viabilité de l’investissement et impact positif sur l’environnement et qualité de vie. Et de se poser la question des modèles économiques qui peuvent dès aujourd’hui contribuer aux défis sociétaux et environnementaux. Mais malgré ces appels à la mobilisation et en dépit du consensus qui s’installe progressivement, certains continuent à afficher leur scepticisme à l’égard de l’ISR : pour eux, les stratégies d’investissement responsable ne performeraient pas aussi bien que les stratégies classiques. Il est donc nécessaire de lever quelques incertitudes !

Idée reçue n° 1 : « Les stratégies d’investissement responsables ne performent pas aussi bien que les stratégies classiques »

Le contraire est démontré, et ce n’est pas nouveau. Il est temps de démonter le mythe de l’ISR ennemi de la performance car en réalité : rien n’est plus faux, et c’est même tout le contraire. Les chiffres sont là pour le prouver. L’affaire n’est d’ailleurs pas nouvelle puisqu’en 2012 déjà, Robert G. Eccles, professeur de management à la Harvard Business School et ancien président du Sustainability Accounting Standards Board (SASB), établissait le lien étroit entre considérations ESG (environnement, société, gouvernance) et performance financière accrue. Il indiquait à l’époque que les entreprises connues sous le nom « d’entreprises hautement durables » et ayant fait le choix délibéré d’adopter de vraies politiques sociales et environnementales, présentaient des caractéristiques fondamentalement différentes de celles d’un échantillon apparié de sociétés n’ayant adopté quasiment aucune de ces politiques. Eccles et ses collègues avaient d’ailleurs produit des preuves substantielles démontrant que les « entreprises hautement durables » surclassaient leurs concurrentes sur le long terme, que ce soit au niveau boursier ou en termes de performance comptable.

Dans le même esprit, une méta-étude de 2012 conduite par Deutsche Bank a révélé la corrélation positive entre critères ESG et performance financière, soulignant que cette corrélation apparaissait de façon récurrente dans une majorité d’études portant sur les valeurs mobilières, particulièrement lorsqu’il s’agissait d’études examinant les titres les plus performants en matière de RSE et/ou ESG.

Idée reçue n° 2 : « L’ESG est une affaire de valeurs d’entreprise, pas une affaire de business »

Faux ! Depuis quelques années déjà, les démarches ESG des investisseurs immobiliers sont devenues de véritables atouts de compétitivité. Certains investisseurs affirment que l’ESG ne serait qu’une affaire de culture et/ou de philosophie d’entreprise, sans influence sur le business.

Et il est vrai que la thématique motive des discours et communications centrées sur le green – ou good – washing plutôt que sur les résultats et l’impact. Pourtant, l’ESG est devenu une véritable exigence des investisseurs et des régulateurs : l’article 173 de la loi de transition énergétique et écologique (TEE) met clairement l’analyse ESG à l’agenda de tous les investisseurs, y compris en immobilier. Et Valérie Demeure, de Vigeo Eiris, agence de notation sociale et environnementale, soulignait, lors du rendez-vous Immobilier & innovation organisé par notre groupe le 18 juin dernier, l’importance des indicateurs financiers et immobiliers du développement durable sur la création de valeur.

L’ESG se retrouve aujourd’hui au cœur des opérations et des stratégies managériales et opérationnelles. Afin de dissiper tout malentendu, Vigeo Eiris insiste sur le fait qu’il s’agit bel et bien d’une approche stratégique, de type best-in-class, et non d’une approche morale ou éthique. Ainsi présentée, l’approche ESG apparaît comme une formidable source d’opportunités, mais également comme un facteur bénéfique pour l’image de marque d’une entreprise. Là encore, les faits sont parlants : l’intérêt pour la finance durable n’a cessé de croître ces dernières années. La croissance des green et social bonds, la loi Pacte, les ODD et PRI de l’Onu en sont l’illustration. C’est une tendance de fond, et non l’engouement humaniste de certains.

Autre fait significatif, on constate que les épargnants eux-mêmes s’intéressent de plus en plus à cette problématique : Vigeo Eiris montre qu’ils classent au rang des priorités l’urgence climatique, la lutte contre la pauvreté, la nécessité de se doter d’infrastructures résilientes et les projets de ville durable (notamment en matière de connectivité et d’accessibilité des bâtiments pour 40 % des interrogés). Tout indique qu’il n’est plus possible aujourd’hui de faire abstraction des enjeux climatiques dans nos pratiques entrepreneuriales. La réglementation européenne devrait d’ailleurs évoluer en ce sens dans les mois à venir.

Si les enjeux environnementaux sont maintenant bien compris de l’industrie immobilière. Le confort, le bien-être et la santé doivent être des priorités pour les acteurs de l’immobilier. Cela passe évidemment par une construction saine, mais aussi par une connaissance fine des utilisateurs finaux. Cette dernière permet de leur apporter les services et aménités qui amélioreront leur qualité de vie quotidienne. Or, la plupart des acteurs de l’immobilier fondent leur analyse sur l’intuition et n’ont jamais vraiment pris la peine d’évaluer les besoins réels des consommateurs.

Face à cet immense chantier, les motifs d’espoir sont nombreux, et les leaders internationaux montrent l’exemple : « Les entreprises qui se concentrent uniquement sur la rentabilité se retrouveront bientôt perdantes au profit de leurs concurrentes », nous disait Larry Fink, PDG de BlackRock, dans une lettre aux actionnaires. Finalement penser « durable », c’est abandonner les logiques court-termistes qui n’ont de toute façon jamais servies les entreprises sur le long terme. Porter une vision stratégique de long terme pour son entreprise nécessite d’intégrer les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance à son analyse. Le plan Bâtiment durable l’illustre en définissant six catégories d’obsolescence potentielle de nos actifs immobilièrs : « L’obsolescence territoriale liée à la position de l’actif dans son environnement, l’obsolescence architecturale liée à sa qualité intrinsèque, l’obsolescence économique liée à ses coûts d’exploitation, l’obsolescence sociologique liée au confort et au bien-être des occupants, l’obsolescence technique liée à l’état de fonctionnement de ses équipements et enfin l’obsolescence réglementaire liée aux non-conformités. » Six thèmes qui concordent aussi bien avec les impératifs stratégiques d’une société de gestion immobilière, qu’avec ceux de l’ISR.

Idée reçue n° 3 : « Mes bâtiments bénéficient des meilleures certifications environnementales, je ne peux vraiment pas faire plus »

Mais bien sûr que si ! Pourquoi ? Tout simplement parce que la ville durable se pense en grand. Le bâtiment n’est pas une entité hors-sol, il ne fonctionne pas en autarcie ! Tout est affaire d’échelle. Et si en mode macro, à l’échelle planétaire, le problème peut sembler insurmontable, rappelons que ce n’est qu’une illusion d’optique.

Certes, à l’échelle hyper-locale, celle de l’immeuble, on adopte une approche plus terre-à-terre, en prise avec la réalité du terrain, où la mise en œuvre des solutions dites « durables » se fait projet par projet, bâtiment par bâtiment, habitation par habitation, en collaboration avec les résidents et les partenaires locaux. Là, les améliorations les plus simples peuvent contribuer à réduire considérablement les émissions de GES tout en boostant les rendements : installation d’ampoules électriques à haute efficacité énergétique, de panneaux solaires, de compteurs et sous-compteurs d’eau nouvelle génération, modernisation des équipements de CVC, collecte des déchets recyclables, etc. Les certifications environnementales, telles que Breeam, Leed ou HQE, fournissent, dans ce domaine, un excellent guide d’amélioration aux propriétaires fonciers.

Mais il faut aller plus loin, car l’écologie n’a pas de frontière physique. Il n’est donc pas pertinent de penser la qualité environnementale à l’échelle du seul bâtiment. L’actif immobilier doit être repensé dans son contexte géographique, à plusieurs échelles : parcelle, îlot, quartier, ville et région.

Chaque bâtiment joue un rôle dans son quartier ; plus il invite les interactions entre les différentes populations utilisatrices de la zone, plus il crée de la valeur sociale et économique pour son environnement.

Après la restructuration de l’actif Centre del Món, détenu par le fonds KVA II de Keys REIM à Perpignan, et suite à l’obtention du label BBC Rénovation, 85 % des surfaces ont trouvé preneur. Cette nouvelle dynamique émane d’une réflexion menée à l’échelle de tout un quartier. « Stratégiquement, c’est, de toute évidence, l’amélioration de l’environnement de l’immeuble associée à l’amélioration de ce dernier, qui a favorisé la création de valeur », affirme Steve Lépine, gérant de Keys REIM.

Dans un autre segment de marché, Dominique Esnault, CEO de Quartus Coliving, insistait le 18 juin dernier, lors du rendez-vous Immobilier et innovation de Keys AM, sur l’importance d’une conception en « écosystème ouvert » de ses bâtiments. Cette interaction avec le quartier environnant influence grandement la qualité de l’expérience qu’elle propose et donc la valeur de son activité.

Le défi n’est donc plus seulement de changer d’échelle, mais réside en réalité dans la nécessité de penser l’imbrication des différentes échelles pour les articuler harmonieusement et efficacement.

Selon Cécile Delolme, vice-présidente de l’UPEM (université Paris-Est-Marne-la-Vallée), et spécialiste de la ville de demain et de ses écosystèmes, cela fait bien longtemps que l’on entend parler du concept de « ville durable », et pourtant, on adopte encore des angles d’approche trop souvent restrictifs. Pour cerner la réalité de la ville durable, Cécile Delolme recommande de tenir compte de l’« environnement d’interdépendances multiples » dans lequel les acteurs de l’immobilier opèrent.

C’est pourquoi l’UPEM, porteur du projet scientifique de l’initiative i-site Future, prévoit un prototypage grandeur nature de la ville de demain. Il faudrait être capable de décrire avec précision les enjeux urbains, comme le cycle de l’eau ou la décarbonation, par exemple, afin d’avoir une vision scientifique multi-dimensionnelle du territoire, nous dit la chercheuse.

C’est là le travail de fourmi auquel se livre le Senseable City Lab du MIT : production et analyse de données urbaines, identification de territoires d’expérimentation, évaluation des impacts des innovations à long terme. La philosophie du Senseable City Lab du MIT repose sur une approche ouverte et multidisciplinaire : le but est de se comporter en « polyglotte », c’est-à-dire d’être capable de parler le langage des investisseurs mais aussi des designers, des urbanistes, des ingénieurs, des physiciens, des biologistes, ainsi que celui des spécialistes des sciences sociales. A travers le design et la science, ce laboratoire entretient ainsi une communication fluide avec tous types d’interlocuteurs, qu’il s’agisse de partenaires industriels, de gouvernements métropolitains, du simple citoyen ou de représentants des communautés défavorisées.

Face à la perspective d’une population mondiale de 10 milliards d’habitants en 2050, dont 70 % de citadins, le chercheur Nicolas Buchoud, président du Cercle Grand Paris de l’Investissement durable, insiste sur les évolutions à anticiper avec l’émergence des villes-monde. Il invite à aller plus loin et à analyser les enjeux politiques de la ville durable.

Idée reçue n° 4 : « Etre écolo dans l’immobilier, c’est construire de façon écolo »

Oui, certes… mais pas seulement. Car un bâtiment, c’est aussi un lieu de vie, qui héberge des activités humaines et économiques. Et ce serait une erreur que de négliger l’importance de la phase d’exploitation du bâtiment, notamment dans ses dimensions sociale et économique. Rappelons à ce titre la définition développement durable de Gro Harlem Brundtland, ancienne Première ministre norvégienne et ancienne directrice de l’OMS, adoptée par l’Onu : « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs », plus tard articulée autour des trois piliers économie/écologie/social pour un développement économiquement efficace, socialement équitable et écologiquement soutenable.

Aujourd’hui, l’Onu a défini dix-sept objectifs de développement durable pour assurer la paix et la prospérité pour les peuples et la planète. Ils donnent la donnent la marche à suivre, apportent éléments de réponse et définissent des cibles de résultats à l’horizon 2030.

Ces grands objectifs se traduisent particulièrement bien dans le secteur immobilier et prennent souvent la forme d’une démarche d’intégration des enjeux ESG dans les métiers immobiliers. Les impacts sont considérables et la marge de manœuvre est importante. Vigeo Eiris donne quelques exemples :

- Objectif 1 « Pas de pauvreté », et Objectif 11 « Villes et communautés durables ». Mesurer et s’assurer de la bonne connectivité d’un actif immobilier consiste tout simplement à intégrer la connectivité dans les décisions d’investissement : à quelle distance des nœuds de transports en communs se trouve-t-on ? Les utilisateurs du bâtiment pourront-ils y accéder en transports doux ? D’après Vigeo Eiris, 51,4 % des investisseurs immobiliers disent se poser ces questions mais seuls 16.2 % d’entre eux publient leurs résultats effectifs.

- Objectif 9 « Industrie, Innovation, Infrastructure ». Il s’agit ici de contribuer à développer le tissu économique local en créant ou en s’associant à des programmes d’éducation, de formation, d’emploi, etc. Les investisseurs immobiliers sont par exemple invités à soutenir les entreprises locales en les sélectionnant comme locataires plutôt que les chaînes nationales dont les garanties sont souvent plus solides mais la valeur d’usage beaucoup moins importante. Selon Vigeo Eiris, 86,1 % des entreprises immobilières soutiennent cette cause, mais seulement 8,1 % se sont fixé des objectifs quantifiés.

- Objectif 13 « Mesures relatives à la lutte contre le changement climatique ». Tous les acteurs immobiliers y sont désormais sensibilisés et 70 % d’entre eux se sont donné des objectifs chiffrés en matière de performances énergétiques et émissions de gaz à effet de serre. Le World Green Building Council estime à 14 % les économies d’exploitation liées à l’amélioration énergétiques des bâtiments. L’institut fait état d’une rentabilité à sept ans pour les investissements nécessaires à la rénovation « verte » d’un actif. Il n’est donc pas étonnant que 94,6 % des entreprises interrogées par Vigeo Eiris aient mis en place des actions concrètes : isolation renforcée de l’enveloppe du bâtiment, pare-soleil et systèmes d’éclairage, chauffage et chauffe-eau économes, production ou utilisation d’énergies renouvelables, système de gestion des déchets, baux verts, etc. Une partie encore importante des investisseurs immobiliers ne s’est cependant pas dotée de grille de notation chiffrée leur permettant d’évaluer les performances environnementales à l’échelle du portefeuille, souvent par manque de ligne directrice à l’échelle del’industrie. C’est un défi que l’Aspim a décidé de relever cette année, avec la publication prochaine d’un référentiel ISR dédié à l’immobilier.

Au-delà de la performance environnementale, l’investisseur immobilier soucieux de la durabilité de son activité mesure son impact social et économique. La valorisation d’un actif est aujourd’hui largement dépendante de sa valeur d’usage ; l’objectif étant de veiller avant tout au bien-être et au confort des utilisateurs à travers la connectivité des bâtiments et un accès facile à toutes sortes de services tels que commerces, conciergerie, crèches, sport et santé, afin de répondre efficacement à des demandes de fond émises par des utilisateurs de plus en plus exigeants.

Emmanuel Javal, CEO du Grand Réservoir, un opérateur à la croisée du digital, de l’immobilier et de l’innovation des usages, va dans le même sens en développant des sites où l’innovation des usages prévaut. La densité de services mise à la disposition des ambitions du quartier et la volonté de rassembler dans des lieux créateurs de lien permettent aux gens de se rencontrer, (re)-connecter. Selon l’entrepreneur, tout part du constat suivant : le niveau d’exigence de l’usager, donc des collectivités, et donc des grands propriétaires fonciers est en train de radicalement évoluer. Les utilisateurs demandent une grande qualité d’expérience et authenticité. Par conséquent, le classique leitmotiv « emplacement, emplacement, emplacement » s’est transformé en « usage, usage, usage ».

C’est ainsi que sont nés les nouveaux concepts immobiliers de la série des « co » : co-working, co-living, co-retailing. La ville se partage pour améliorer la qualité de vie de ses usages et ces produits d’immobiliers expérientiels visent à optimiser la balance confort-coût-écologie, c’est-à-dire l’usage. Alors, peut-on réellement affirmer que la mutualisation des espaces et des ressources est à la fois créatrice de valeur sociale et vectrice de réduction d’empreinte carbone ?

Cela reste probablement à démontrer, mais d’ici là, on peut saluer la performance de ces classes d’actifs. Sur le segment co-working, on constate une tendance exponentielle des prises à bail. S’appuyant sur une offre plus flexible, plus personnalisée, plus servicielle que le traditionnel et contraignant bail 3-6-9, ce modèle de bureau partagé présente des avantages sociaux et économiques convaincants et capte ainsi une clientèle de plus en plus large.

Les chiffres sont d’ailleurs au rendez-vous : la demande placée en co-working en régions explose littéralement, et les taux de vacance accusent une baisse significative, de l’ordre de 2,2 % à Paris. La mutualisation des espaces et des services, et la rationalisation des coûts, alliées à une expérience utilisateur plus riche, y sont donc créatrices de valeur et participent à expliquer le succès croissant du co-working.

Le constat vaut également en matière de co-living, qui d’après la fédération Co-Liv, est une forme d’habitation gérée où les résidents partagent services et/ou espaces afin d’améliorer leur qualité de vie quotidienne. Dominique Esnault, de Quartus Co-living, y adhère et rappelle que la vocation de ce modèle est bien de rendre la ville plus accessible, plus inclusive et plus humaine. C’est la proposition de valeur des deux marques, Livinghomes et The Opener, de Quartus Co-living : être en mesure de proposer une qualité de vie « augmentée », au prix du marché traditionnel.

Examinons maintenant le second volet de la question : la mutualisation des espaces et des ressources peut-elle vraiment permettre de réduire l’empreinte carbone des bâtiments ? Cette interrogation émane du constat du chercheur Anders Fremstad, de l’université du Colorado, qui démontre que la densité urbaine est « éco-efficace ». Selon lui, plus on est nombreux dans un foyer, plus le bilan carbone par individu est bas. Les familles nombreuses qui pratiquent la mutualisation des ressources – voiture, climatisation ou machine à laver – affichent une empreinte carbone plus faible dans la mesure où elles mutualisent les activités nuisibles à l’environnement et au climat. Ainsi, le chercheur incite à la multiplication des foyers nombreux et/ou solutions d’habitat partagé, dans lesquelles on densifie l’usage d’une même surface, regarde la même télévision, utilise les mêmes machines à laver, partage les repas et conduit le même parc de voitures partagées. Selon, Anthony Underwood, professeur au département Economie du Dickinson College de Carlisle, en Pennsylvanie, et spécialiste de l’impact environnemental de l’économie du partage, il serait possible que cent personnes vivant dans des familles nombreuses émettent moins de carbone que cinq autres vivant seules dans des logements individuels.

Ce chiffre est d’autant plus saisissant quand on l’associe à la part grandissante de mono-ménages (composés d’une personne seule) dans les grandes villes du monde : +32 % entre 2016 et 2030, d’après Euromonitor International. A Amsterdam, ces citoyens solos sont le segment de population qui croît le plus vite ; ils représenteraient 55 % des habitants de la capitale néerlandaise. Petronella Tyson, membre de l’équipe de The Collective, s’interroge, elle, sur la manière dont le co-living pourrait contribuer à un avenir résilient pour notre société.

Elle explique notamment qu’un lieu de vie partagé bien conçu participe à améliorer la santé et bien-être de ses utilisateurs : l’activité sociale réduirait le risque de maladies chroniques comme l’obésité ou le diabète et améliorerait nos fonctions cognitives. Il est ainsi démontré qu’en augmentant de 25 % la densité de votre habitat, vous augmentez de 23 % la probabilité de vous déplacer à pied et donc diminuez votre exposition aux risques de maladies cardiaques.

En s’intégrant dans une dynamique de densification vertueuse, ces nouveaux concepts immobiliers permettent de construire moins, réutilisent les structures existantes et concentrent un maximum d’usages/activités dans de mêmes espaces. Il semblerait donc bien que le co-living, co-working et autres modes de mutualisation des ressources urbaines contribuent à réduire notre empreinte carbone collective, sans compter qu’ils opèrent une influence considérable sur les comportements de leurs utilisateurs ouvrant ainsi la possibilité de changements profonds de nos habitudes de consommation (eau, électricité, consommables etc.).

Conclusion

L’investissement socialement responsable va bien donc au-delà du simple financement des énergies renouvelables. Il est d’ailleurs possible de parler d’immobilier durable sans parler d’énergie.

L’ISR n’est pas l’ennemi de la performance ; l’impact investing n’est pas qu’un phénomène de mode ; et la densification urbaine, plus respectueuse de l’environnement que nos anciens modes d’urbanisation, n’est pas obligatoirement synonyme d’entassement et de mauvaise qualité de vie.

  • Mise à jour le : 31/10/2019

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